À l’occasion du mois de sensibilisation à l’autisme, nous avons souhaité mettre en lumière l’autisme au quotidien, sous toutes ses formes et par tous les prismes. Dans cet article, on a souhaité laisser la parole à Lucie Hodiesne-Darras, une sœur concernée. Zoom.

Lucie a presque 30 ans aujourd’hui. Elle vient au monde 7 ans après son grand frère, Antoine, surnommé par ses proches Lilou. Bien qu’elle grandisse dans une famille aimante, Lucie se rend vite compte que quelque chose dans sa famille diffère. Son frère aîné, ne parle pas.

Un diagnostic

Alors qu’Antoine a 3 ans, sa mère, sage-femme, s’aperçoit que quelque chose n’est pas « normal » dans le développement de son fils. L’un des éléments clés pour elle, c’est le fait qu’il ne parle pas encore. Alors, elle se tourne vers des spécialistes et le diagnostic tombe finalement: Antoine est autiste et non-verbal.

Pendant son enfance, avec Lilou comme grand frère, tout lui paraît plutôt normal. En même temps, elle ne connaît que ça! Et puis, à la maison, ses parents lui expliquent avec des mots simples, adaptés à son âge, ce qu’il se passe. En entendant sans cesse des termes liés au lexique de l’autisme, la jeune fille comprend naturellement ce qui rend son frère si unique. Et puis, qui a dit que unique était mal ?

Elle se souvient d’une équipe de films venue documenter le quotidien de son frère, alors âgé de 15 ans ainsi que de sa famille à leur domicile. Dans ce reportage, les crises et les spécificités sensorielles d’Antoine et d’autres enfants, sont mis en lumière. Le but ? Sensibiliser à ce trouble encore méconnu: l’autisme.

Le film est ensuite projeté dans un cinéma de Deauville et du haut de ses 8 ans, Lucie ne voit pas la différence de son frère à l’écran. Elle rigole aujourd’hui de sa naïveté enfantine: « Pour moi, j’étais trop contente parce que je voyais mon frère sur ce grand écran, c’était une star ! »

Le regard des autres

Pour Lucie, entourée de ses proches et de sa famille, dans sa « safe place » comme elle la qualifie, le handicap d’Antoine semble presque passer inaperçu. Elle explique, l’air nostalgique, que c’est le regard des autres qui lui a fait prendre réellement conscience de la différence de son frère.

En effet, alors que dans son cocon proche elle est entourée d’amour et de bienveillance, lorsqu’elle sort dans la rue ou dans la cours de l’école, elle est confrontée aux regards jugeurs et malveillants des autres. C’est très jeune qu’elle est d’ailleurs victime de harcèlement sous fond de préjugés sur l’autisme. Les autres enfants se moquent d’elle, disent qu’elle est contagieuse… C’est à ce moment-là que deux mondes semblent s’entrechoquer.

Pourquoi dans son entourage proche, les gens sont si compréhensifs, si aimants, alors que dans des contextes extérieurs, ils semblent si malintentionnés ?

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« On n’a plus la casquette de petite sœur »

À l’âge où ses copines d’école ont des disputes avec leurs grands frères, elle, n’a pas réellement d’interactions verbales avec lui. Mais elle explique alors que c’est par les gestes, et les regards qu’ils créent un lien au fur et à mesure que les années passent. Malgré ça, durant son enfance, elle a cette sensation d’être un peu enfant unique: « Lorsque j’étais à l’école, Antoine était à l’IME, puis lorsqu’il a grandit, il passait ses journée en foyer spécialisé. » Les deux enfants ne partagent pas du tout le même train de vie.

Très vite, Lucie explique qu’elle se rend bien compte qu’en étant la sœur d’Antoine, elle perd sa casquette de petite sœur. Mais elle n’assimile pas tout à fait encore le fait d’être une jeune aidante.

Pour elle, ce qu’elle fait est naturel, elle accompagne juste ses parents au quotidien !

Un équilibre respecté

Mais dans ce cocon, Lucie parvient toujours à trouver sa place. En effet, Antoine est très proche de ses grands parents et c’est donc tout naturellement que, ces derniers le gardent de temps en temps pour permettre à la jeune fille de passer du temps avec ses parents.

Mais malheureusement, en voyant les problématiques que ses parents peuvent rencontrer avec son frère au quotidien, Lucie commence à se mettre une certaine pression pour ne pas incomber ses parents. Alors, au fur et à mesure que le temps passe, elle s’oblige à minimiser ce qu’elle ressent.

Après tout, que sont ses petits tracas de jeune adolescente comparés au handicap de Lilou ?

Un exutoire, puis une passion

Heureusement pour Lucie, tous les mercredis, elle suit des cours de créativité avec des enfants « comme elle ». Des enfants qui eux aussi, ont un peu perdu leur innocence à un moment donné. C’est là qu’elle se rend compte qu’il existe une manière plus simple d’exprimer ce qu’elle ressent: l’art.

Et cet attrait pour la créativité ne semble pas sortir de nulle part. Lucie revient sur son enfance et sur les souvenirs qui l’entourent. Un des éléments clé du décor, ce sont les appareils photos de son père. Véritable passionné, il transmet, petit à petit sa passion à sa fille. Mais c’est lorsqu’elle arrive au lycée, qu’elle a réellement le déclic. Elle qui ne semble pas s’autoriser le droit de s’exprimer librement par les mots, elle veut faire ressentir ses émotions au travers des clichés qu’elle peut prendre.

Lucie veut en faire son métier. Elle rentre donc à la célèbre école Gobelins à Paris en 2017 et en sort diplômée et pleine d’idées en 2020.

 » 4 mains, 4 yeux, 2 cœurs « 

Le projet qui met en lumière son frère et ses particularités, c’est avant tout un projet pour l’école. Lucie se dit qu’il faut briser les idées préconçues, celles sur l’autisme qui sont intrinsèquement liées aux séries comme Good Doctor ou The Big Bang Theory. Elle veut remettre l’humain à la base de tout.

Alors, elle se lance dans ce projet. Elle photographie Antoine – Lilou – dans toutes les situations du quotidien: sous la douche, en balade, dans son lit … Bien plus qu’un simple exercice photo, c’est un véritable moment de partage et de connexion entre eux. Sans parler, Antoine sait se montrer force de proposition. Elle raconte, la voix pleine de tendresse:  » Il a saisi ce médium pour dévoiler ce qu’il souhaitait de sa personne. » Elle se souvient par exemple, d’une balade à Cabourg au cours de laquelle, alors qu’il marche, son ombre se dessine d’une manière originale sur le mur en face de lui. Antoine s’arrête alors net en fixant sa sœur, elle comprend vite qu’il veut qu’elle le prenne en photo. Et c’est ainsi durant toute la création de cette exposition : bien qu’ils ne communiquent pas verbalement, elle sait quand Lilou est prêt à être pris en photo ou au contraire, quand il ne le souhaite pas.

Et lorsque vient le choix crucial des clichés qui seront exposés, lorsque Lucie hésite entre deux photos, il n’est pas rare que Lilou tranche pour elle, en pointant son tirage favori du doigt.

Lucie Hodiesne-Darras, l’alchimiste

Lors de la première exposition publique de « Lilou », leurs parents sont bien évidemment présents. C’est un grand moment pour cette famille. Ces clichés rentrent dans l’intimité de la famille et Lucie a toujours pris la peine de demander à ses parents, s’ils étaient d’accords ? Si c’était bon pour eux de révéler leur quotidien à des gens qui ne les connaîssent pas.

Alors, au moment de la découverte de cette exposition, de l’émotion qui se dégagent de ces tirages, ils sont émus bien-sûr. Mais ils sont également chamboulés. Au travers de ses clichés et en pénétrant dans le regard et l’intimité de Lucie, ils revivent avec elle les années difficiles qu’ont pu être la primaire ou le lycée. Pour Lucie, bien plus qu’une photographe, elle se voit en réalité comme une alchimiste: elle transforme les mauvaises expériences en moment de résilience.

Et Lilou ?

Alors que son exposition quitte les frontières françaises pour la Chine, l’Espagne ou les Pays-Bas, une nouvelle opportunité semble s’ouvrir à la photographe. Elle décroche l’occasion de mettre en pages avec Fisheye les clichés de son frère.

Le livre sort. Et c’est plus de 160 pages qui viennent s’habiller des portraits de Lilou. Lorsqu’il reçoit le fameux sésame entre ses mains, Antoine semble conquis. Lui qui adore charmer, semble voir en ce livre, l’occasion ultime de plaire. Lucie rapporte:  » Bien qu’il n’ait pas une concentration très longue pour les séries, les films … Quand il a eu ce livre entre les mains, il a étudié avec attention chacune des pages. »

Puis, comme pour valider le travail de sa petite sœur, une fois le livre refermé, il la gratifie d’un sourire rayonnant. Le pari de Lucie est gagné.

L’autisme, vu autrement

Aujourd’hui, Lucie se focalise sur d’autres projets de mise en lumière de l’autisme sous différents prises. Par exemple, « Temps de Répit« . Une série réalisée au cœur d’un centre d’animation qui permet à des jeunes en situation de handicap, de faire des activités qui peuvent les aider à se recentrer dans le tumulte de leur quotidien.

De plus, elle veut documenter davantage la vie d’une personne adulte et autiste. Elle déplore le manque de visibilité pour les personnes TSA et adultes. C’est la raison pour laquelle la série de clichés dédiée à son frère ne sera jamais réellement clôturée. Elle souhaite continuer à l’alimenter au fil des ans.

Lucie Hodiesne-Darras, son frère et l’art

Si nous avons souhaité mettre Lucie et son art, c’est d’abord parce que la sensibilité et l’intimité qui se dégagent de chacune des photos nous a énormément touchés. Bien que la parole manque à Lilou, on se rend compte que tout peut changer dans la profondeur d’un iris.

Et on comprend grâce à ça que la parole n’est pas nécessaire quand le regard en dit si long. Et qu’en réalité, au delà des mots, un lien émotionnel peut se créer de milles et une façon.

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