Recevoir un diagnostic de Trouble du Spectre de l’Autisme (TSA) à l’âge adulte rééclaire toute une vie sous un nouveau prisme. Dans ce témoignage, Élisabeth Weber nous livre un récit intime et lucide sur son parcours, jalonné de questionnements, de découvertes et de résilience. Nous vous laissons avec ses mots autour de son diagnostic tardif.
Pouvez-vous nous raconter votre parcours jusqu’au diagnostic ?
De la maternelle au collège
Un parcours chaotique… Dès la maternelle, je ressentais ma différence, que des choses m’échappaient. Incapable de saisir des consignes qui paraissaient simples aux yeux des autres enfants, de tenir un rythme commun ou de coordonner mes mouvements pour certains jeux.
L’entrée au collège et l’ostracisation dont j’ai été victime ont créé une faille très douloureuse. Puis, en grandissant, j’ai pris la décision de revendiquer mon « extravagance », bien plus que nécessaire.
Construction de ma bulle sécure
J’ai eu une vie houleuse jusqu’à plus de 20 ans. Navigant à vue, ballotée entre shutdown et meltdown sans savoir ce qui m’arrivait, dans le refus d’une société dont je ne comprenais pas les ficelles et où tout me paraissait absurde. J’ai toutefois la chance d’avoir toujours pu compter sur quelques personnes, des membres de ma famille et des proches qui font partie intégrante de ma vie.
Après avoir réussi à me poser dans la vingtaine, j’ai commencé à me construire une bulle sécure en développant des méthodes assez efficaces pour à la fois parvenir à m’isoler, me reposer suffisamment, et maintenir des liens sociaux et professionnels. Je suis restée longtemps dans cette bulle, préservée, bien entourée et à l’abri.

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Qu’est-ce qui vous a emmenée à vous poser des questions sur un possible TSA ?
Mes rapports aux autres, ma fatigabilité excessive, ma préférence pour la compagnie animale à la compagnie humaine, mon besoin d’exactitude, ne supportant ni le mensonge ni les approximations anxiogènes, mes problèmes de communication orale et de compréhension de l’humour…
Apprendre à rire au bon moment au cinéma pour ne pas se faire remarquer, c’est tout un art !
Je me suis posé la question plusieurs fois, sans me sentir légitime. Je rejetais une partie des « symptômes » sur d’autres raisons médicales, comme l’endométriose et les névralgies dont je souffre.
Il y a 2 ans, des épreuves insurmontables m’ont conduite à un burn out autistique. La psychologue que j’ai consultée alors a interrogé mon mode de fonctionnement, mettant le doigt sur mes particularités. À la suite de son évocation d’un possible TSA, j’ai été reçue par une autre professionnelle, habilitée pour les tests d’évaluation.
Comment avez-vous vécu ce diagnostic tardif ?
Je me suis retrouvée il y a trop peu de temps avec ce fameux certificat du CRA entre les mains. Qu’en faire, maintenant ? Témoigner ici relève d’ailleurs d’une véritable catharsis.
Il y a deux ans, en commençant mon suivi psy, je souhaitais « juste » me réparer après une agression et le décès brutal d’une personne qui a toujours eu une place majeure dans ma vie. Même si je me savais « différente », je n’entreprenais pas une démarche vers ce type de diagnostic. J’ai appris depuis que mon cas n’était pas isolé.
De nombreuses femmes sont diagnostiquées dans la quarantaine, à la suite d’un deuil, d’un épuisement professionnel, d’un traumatisme ou d’un autre choc émotionnel. Le cerveau n’arrive plus à compenser et masquer, entraînant la (ré)apparition des comportements autistiques et la perte totale ou partielle des capacités d’adaptation acquises avec le temps.
L’impact de mon diagnostic tardif
Le diagnostic tardif passe par des phases de déni et de colère. J’en ai d’abord beaucoup voulu aux professionnels de santé qui n’avaient rien vu. La violence médicale, je la connais bien. À qui imputer la faute ? On manque de moyens, de pédagogie, de savoirs et de temps pour des prises en charge appropriées.

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Y a-t-il des moments de votre vie que vous avez compris différemment après le diagnostic ?
Bien sûr, le voile s’est levé sur pas mal de zones d’ombre, offrant des explications, apaisantes dans certains domaines. Quand je repense à d’autres situations, j’essaye de me persuader que ce n’était pas « ma faute » ou que je n’étais pas si bête. Mais un diagnostic reçu à la veille de ses 40 ans, ça remet beaucoup trop de choses en question.
Tellement de doutes persistent, et la plupart des interrogations resteront sans réponse. Je ne vais pas revivre ma vie. En la reconsidérant sous le spectre de l’autisme, j’ai peur de briser des souvenirs positifs, de me rendre compte à quel point j’ai mal compris ou mal géré des événements ou relations appartenant au passé.
On m’a aussi fait passer le WAIS-IV, ce qui a apporté un complément d’information et un autre éclairage sur certains points.
Quels sont vos points forts ?
Remarquer des détails infimes et conserver la capacité de m’émerveiller pour des petites choses, comme une enfant.
Je suis une personne entière, fiable et (peut-être un peu trop) franche.
Malgré mes troubles d’attention et de concentration, je suis capable de me focaliser sur une mission professionnelle ou une activité personnelle. Quand je m’investis dans un but, c’est à fond. Que ce soit en rapport avec mes valeurs, dans la protection animale et le droit des femmes, ou dans mon travail que j’exerce avec la plus grande rigueur.
Comment se passent les relations avec ton entourage proche ?
Personne n’a remis en cause le diagnostic et mes souffrances, ce qui ne semble malheureusement pas être le cas pour nombre d’autistes diagnostiqués à l’âge adulte. J’ai la chance d’être bien entourée par mes proches, que j’aime profondément.
Je n’ai pas changé depuis mon diagnostic, je suis née avec un TSA. J’ai toujours été cette fille « maladroite », passionnée, à contre-courant, parfois sans aucun tact, dans la lune, voire complètement à côté de la plaque.
Les personnes qui me fréquentent depuis des décennies, et encore plus depuis deux ans, savent bien qu’elles s’exposent à des risques en me recevant chez elles : vaisselle cassée d’un geste mal contrôlé, canapé taché irréversiblement, retard important, car je me suis perdue sur la route, réflexion impulsive aussitôt-regrettée-mais-trop-tard, etc., sans compter l’aspirateur après mon passage, puisque je ne me sépare quasiment jamais de ma chienne.
Je ne pourrais jamais assez les remercier de m’accepter comme je suis.
Quels sont les adaptations ou les outils qui vous aident au quotidien ?
Au fil des séances psy, j’ai ouvert les yeux sur toutes les stratégies, d’adaptation et d’évitement, que j’avais inconsciemment mises en place pour survivre.
Je ne fonctionne pas sans agenda (électronique et papier), carnet de listes, mémo, etc., qui m’aident à anticiper les événements. D’autres accessoires sont indispensables pour pallier les hypersensibilités : casque antibruit, lunettes filtrantes et casquette pour les lumières artificielles en intérieur. J’ai toujours un GPS, autant pour les longs trajets que pour ceux de seulement quelques dizaines de mètres à pied, étant facilement désorientée même à l’intérieur d’un bâtiment. Les petits objets pour stimmer, comme un hand spinner, se révèlent aussi bien utiles lors des conversations qui demandent une concentration accrue.
Il me faut des temps de récupération très importants après de fortes stimulations sociales et/ou sensorielles. En solo et, si possible, en pleine nature. L’idéal reste d’arriver à repérer pour tempérer ou éviter ces moments de surcharge qui mènent aux crises autistiques.

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Y a-t-il des choses que vous auriez aimé avoir plus tôt pour mieux vivre votre singularité ?
Un mode d’emploi exhaustif des échanges entre humains ! Pour comprendre les attentes et les limites des autres et réussir à définir et exprimer les miennes.
J’aurais surtout aimé savoir plus tôt que je ne suis pas la seule à fonctionner comme cela. Je garde un côté très naïf, qui croit tout ce qu’on lui dit, ce qui peut parfois amener à tomber de très haut face à la réalité. Si on m’avait enseigné jeune les habiletés sociales nécessaires à la bonne compréhension de mon environnement, cela m’aurait épargné bien des désagréments.
Si vous aviez eu votre diagnostic plus tôt, que pensez-vous que cela aurait changé ?
Je n’aurais pas cru pendant si longtemps que j’étais « nulle » et « incapable » parce que je n’arrivais pas à réaliser des choses semblant banales, dans le même temps que d’autres. J’aurais moins ressenti la honte générée par mes particularités, et ne me serais pas épuisée en me battant pour les camoufler. J’ai tenté d’éteindre des facettes de ma personnalité, m’efforçant de rentrer dans le moule.
Les mauvaises croyances si profondément ancrées s’avèrent difficiles à éradiquer. Même si j’excelle dans des domaines précis, je remarque toujours trop ceux où je me trouve en décalage avec la norme. Autant de stigmatisation dans sa jeunesse complique le lâcher-prise et l’acceptation de soi.
Un diagnostic précoce m’aurait permis de garder confiance en moi, ce que je souhaite à tous les enfants présents sur le spectre de l’autisme.
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Qu’aimeriez vous dire à d’autres personnes qui se reconnaissent dans votre témoignage mais n’ont pas encore de diagnostic ?
Écoutez-vous, et, si ça ne va pas, n’attendez pas de faire un burn out pour vous faire accompagner. Vous seul.e.s savez ce que vous ressentez et les souffrances liées à ces ressentis. Vous êtes légitimes dans ce que vous êtes.
Ne laissez personne vous décourager. Cherchez les réponses auxquelles vous avez droit, vous les méritez.
Je ne peux qu’appeler au diagnostic, le plus tôt possible. Bien sûr, cette opinion se fonde sur mon propre vécu, encore sous le coup des émotions, donc très subjective.

Quels sont vos petits plaisirs ou routines qui vous apportent du réconfort ?
Tout ce qui a trait à l’expression et à la langue française : je passe plusieurs heures par jour à écrire, lire, apprendre de nouveaux mots, jouer au Scrabble ou aux mots fléchés, etc. J’en ai fait mon métier, d’abord libraire, puis rédactrice Web, auteure et lectrice-correctrice.
Les balades avec ma chienne Inuk et l’univers canin en général m’apportent chaque jour ma dose de bonheur. Des temps bénéfiques et indispensable pour recharger mes batteries.
Moins conventionnel : Je dors avec un doudou, et ce, dans ma literie à l’effigie de Superman (une passion qui date de l’enfance). Ce qui n’a pas été toujours facile à assumer les années passant, comme le fait de porter des habits plus confortables qu’élégants. Je privilégie les matières douces et rassurantes et ne gaspille plus mon énergie à supporter des textures désagréables.
Si vous pouviez créer un outil, à quoi ressemblerait-il ?
À un halo en forme d’arc-en-ciel, où chaque couleur représenterait automatiquement les émotions et le niveau de fatigue cognitive de la personne qui le porte. Ainsi, elle n’aurait pas à se justifier et devoir expliquer verbalement pourquoi elle souhaite se retirer, ne pas participer à l’activité en cours ou passer à autre chose.

Selon vous, qu’est-ce qui améliorerait l’inclusion des personnes TSA dans notre société ?
Mon fantasme : systématiser les détecteurs de blagues et de mensonges, pour éviter les confusions et les moments de gêne intense 😉
Une proposition plus réaliste : la création d’espaces de repos dans les lieux publics et une sensibilisation aux TND à l’école et en entreprise, avec la mise à disposition d’outils pédagogiques et sensoriels.
Et une utopie : la révision entière du système éducatif français. D’abord du côté des enseignant.e.s, en doublant leurs effectifs et en les formant pour une bonne appréhension des différences et des besoins spécifiques des enfants qu’ils accompagnent au quotidien. Cela passerait aussi par une mise en valeur de leur profession, la reconnaissance de leur travail et une meilleure rétribution. Ensuite, du côté des élèves : réduire leur nombre par classe pour que chacun.e ait accès à un suivi adapté, les inciter à la tolérance et à une plus grande ouverture d’esprit que leurs ainés.
Le mot de la fin…
La communication reste la meilleure arme contre l’errance médicale et les expériences douloureuses. Les témoignages personnels, la littérature, les études scientifiques et autres publications sur le sujet, la visibilité dans l’espace public, les prises de parole par les personnes concernées et la place qu’on leur attribue, ainsi que la multiplication des groupes d’entraide favorisent la création d’une société plus inclusive.
Élisabeth WEBER, passionnée par l’écriture et la langue française, auteure de Be positive, un guide à destination des adolescents et jeunes adultes, paru aux éditions Merci Les Livres.
Libraire reconvertie dans la rédaction pour le Web, j’exerce aussi en tant que lectrice-correctrice indépendante. J’ai une appétence particulière pour les sujets tels que l’art et la culture, les droits des femmes et des minorités, l’environnement et la protection animale. Sensible à tout ce qui touche aux handicaps, visibles ou non, je m’intéresse aux enjeux sociétaux qu’ils impliquent et aux solutions efficaces à mettre en œuvre pour une société inclusive. Suivez Élisabeth sur son profil LinkedIn.