« Sixtine est une petite fille très coquine de bientôt 4 ans, passionnée par les canards et qui d’ailleurs affirme qu’elle est un canard ! Quand à moi je suis bien sûr « maman cane »… Sixtine est porteuse d’une anomalie chromosomique rare et même unique entrainant un retard global de développement. » Nous avons interrogé sa maman sur son approche de l’apprentissage par le jeu.
« Sixtine a commencé à parler en septembre dernier, auparavant elle utilisait les signes de la langue des signes, les pictogrammes et une quinzaine de mots. Grâce à la mise en place de ces moyens de communication alternatifs elle a pu communiquer avec nous de façon assez efficace, sans pourtant connaitre énormément de signes. Depuis janvier elle va à l’école deux matinées par semaine et elle adore ! »
Depuis quand travaillez-vous l’apprentissage par le jeu ?
« Vers l’âge de 16 mois, Sixtine a bénéficié d’un appareil de verticalisation prescrit par son médecin en rééducation fonctionnelle. Nous avions pour consigne de l’y placer environ une heure par jour. Il a donc fallu trouver quelques astuces pour l’occuper durant ce temps, ça a été un peu le point de départ. Les activités proposées sont devenues réservées au moment de verticalisation afin de maintenir l’intérêt et la motivation de Sixtine, elles sont devenues plus complexes et ciblées avec le temps et en fonction des progrès. »
Quels apprentissages abordez-vous par le jeu ?
« J’essaie de rendre tous les apprentissages les plus ludiques possibles en m’appuyant aussi sur les centres d’intérêts de Sixtine. Pour l’apprentissage des ciseaux, Sixtine découpe des images de ses personnages préférés, ce sont les duplos qui se promènent dans les labyrinthes ou se perchent sur les murs pour apprendre les positions spatiales, on a nourri les canards pour aborder les premières notions de quantités, etc. C’est indispensable pour moi de procéder ainsi pour maintenir Sixtine motivée car elle doit fournir beaucoup d’efforts pour réussir là où un enfant « ordinaire » réussit naturellement. En ce qui concerne les mathématiques, j’ai beaucoup réfléchi à la manière d’aborder le dénombrement avec Sixtine, on a joué à l’aide de différents supports à manipuler les grandeurs, les quantités (un peu, beaucoup, un seul, il n’y en a pas etc.). Puis pour aborder les trois premier nombres je me suis inspirée de l’approche de Rémi Brissiaud (1) («Premiers pas vers les maths ») et j’ai créé un jeu que Sixtine adore: « je fais les courses ». En ce qui concerne le langage, les livres (qu’elle adore) ont été et sont toujours un des supports principaux pour augmenter sa compréhension et son vocabulaire .J’ai fabriqué pour Sixtine des petits livres commentés avec des pictogrammes qui lui ont permis de se familiariser avec la syntaxe avant même de commencer à parler, elle peut maintenant lire ces livres formant ainsi des phrases qu’elle n’est pas encore capable de prononcer spontanément . »
Ces apprentissages s’intègrent-ils dans une prise en charge par un professionnel ?
« Sixtine a un suivi en kinésithérapie depuis ses 10 mois, elle a eu une prise en charge orthophonique avec la méthode Padovan (2) de 20 mois jusqu’en novembre dernier et a un suivi en psychomotricité depuis septembre. Les apprentissages et la mise en place de moyen de communications alternatifs ont été réalisés à la maison sans l’aide des professionnels.»
A quel(s) type(s) d’approche(s) Sixtine est-elle particulièrement réceptive ?
« Sixtine est très sensible à la musique depuis toujours. Quand elle était bébé, vers l’âge de 6 mois elle riait aux éclats toujours au même passage de « la flûte enchantée » (cd de Mozart pour les bébés). Mais ce sont les comptines qui ont maintenant sa préférence et elles nous accompagnent durant chaque trajet en voiture. Les comptines nous aident aussi dans les apprentissages : quand Sixtine était plus petite elle avait des petits puzzles représentant les animaux de la ferme, je chantais des petites comptines en rapport avec chaque animal ce qui l’a énormément aidé à se centrer sur l’activité. Ou bien, récemment Sixtine avait beaucoup de difficultés à suivre un tracé avec le doigt, quand j’ai introduit les comptines pour accompagner l’exercice, elle a aussitôt ralenti son geste et à commencé à suivre le tracé de façon beaucoup plus proche. Et tout naturellement les premiers mots qu’elle a prononcés étaient pour la plupart issus des comptines !
Pour ce qui est du toucher, pratiquement tous les apprentissages se font par la manipulation. Sixtine travaille très très peu de façon « scolaire » (fiches, etc.) d’une part parce que c’est trop difficile pour elle et d’autre part parce que je suis déjà convaincue qu’un enfant « ordinaire » a besoin de passer par la manipulation alors pour Sixtine cela me semble indispensable. C’est pour cette raison que je me forme actuellement à la pédagogie Montessori qui me permettra de l’accompagner dans les apprentissages plus difficiles en utilisant toujours un matériel concret qui décompose toutes les étapes de chaque apprentissage.»
Le jeu est-il toujours abordé avec un objectif pédagogique ?
« Pour Sixtine c’est très clair il y a les moments où l’on travaille même si c’est de façon ludique et les moments où l’on joue. Nous essayons de travailler une heure par jour, 4 à 6 jours par semaine selon les périodes. En dehors de ces heures Sixtine joue librement. Dans sa chambre il n’y a pas de jeux dits « éducatifs ». Sixtine adore jouer à la dinette mais surtout maintenant avec ses « Duplos ». Elle passe aussi du temps tous les jours à regarder ses livres toute seule. Bien sur elle aime également jouer avec moi à tous ces jeux. Pendant ces moments de jeux je ne me fixe pas d’objectifs pédagogiques même si j’en profite souvent pour introduire une notion ou du vocabulaire : par exemple il y a quelques jours le mot « absent » en jouant à l’école avec ses petits personnages. Mais ça reste plutôt informel et le fait par ailleurs de travailler de façon cadrée me permet d’être plus détendue et de profiter d’instant de jeux plus spontanés.»
Votre conclusion
« Je pense qu’il ne faut pas hésiter à mettre en place une stimulation à la maison quelque soit le temps que l’on peut y consacrer et même si l’on n’a pas la possibilité d’être soutenu par des professionnels. Je pense aussi aux moyens de communications alternatifs qui devraient être une des premières choses proposées à un enfant présentant un retard de développement. Bien sûr, c’est plus rapide et plus facile si l’on est soutenu par des personnes formées mais ce n’est pas indispensable. Reuven Feuerstein (3) disait « toute personne est capable de changement, quels que soient son âge, son handicap et la gravité de ce handicap. Les enfants différents ont simplement besoin d’un surcroît d’attention et d’investissement personnel. » Comme lui, j’ai décidé que « les chromosomes n’auront pas le dernier mot ! ». »
Retrouvez les idées, réalisations et vidéos de la maman de Sixtine sur son blog : http://kikilo.canalblog.com/
Quelques compléments d’information
1) Rémi Brissiaud est chercheur et pédagogue spécialiste des apprentissages numériques. Il recommande de présenter ce qu’il appelle » les dialogues fondamentaux » en petite section de maternelle plutôt que d’enseigner le » comptage numérotage ». Par exemple on demande à l’enfant « donne- moi 2 jetons ; comme ça, un et encore un » (on montre avec les doigts en même temps) .Cet approche favorise la compréhension du nombre .
2) La méthode Padovan est une méthode de réorganisation- neurofonctionnelle qui comprend des exercices reprenant toutes les étapes du développement depuis la naissance : les mouvements moteurs (roulé, rampé etc.), les mouvements liés aux fonctions de la bouche (respiration, mastication, succion, déglutition , les mouvements des yeux et des mains. Les exercices sont réalisés au rythme de poèmes ou comptines. Ces exercices s’appuient sur la plasticité neurale et ont pour but de « réorganiser » le système nerveux central.
3) Le professeur Reuven Feuerstein est un psychologue et pédagogue Israélien qui a mis au point des outils pédagogiques spécifiques : une méthode d’évaluation et un programme éducatif qui permet le développement des fonctions cognitives. Dans son institut, à Jérusalem, il a entre autre développé un programme d’intervention précoce pour la prise en charge des bébés trisomiques dès leur naissance.
Je suis une fan du blog de Sixtine, une mine d’informations et de supports pédagogiques intéressants. J’apprécie particulièrement l’approche par le jeu et je m’en inspire avec ma fille, Camille. La maman fait un travail remarquable. Bravo à la maman et à Sixtine pour tous ses progrès!