Vous aviez eu l’occasion de « rencontrer » Aurélien D’Ignazio, Psychomotricien D.E & Master et également co-auteur du livre 100 idées pour développer la psychomotricité des enfants lors d’un live organisé sur notre page Facebook au cours duquel il vous avait délivré des conseils et idées pour mieux comprendre la psychomotricité, ses enjeux, son champ d’action. Aujourd’hui, il nous permet de partager avec vous quelques extraits de son article-recherche sur le Trouble du Développement des Coordinations (TDC anciennement appelé TAC) et la dyspraxie développementale. Bonne lecture !
TDC et dyspraxie développementale – Regard psychomoteur
1. Au sujet du TDC
Qu’il s’agisse des anciennes appellations peu élogieuses (« débilité motrice », « idiotie motrice », « retard spécifique de la motricité », etc.) ou du Trouble du Développement des Coordinations (DSM 5, 2015), ces terminologies font toutes allusion à la manifestation comportementale d’une maladresse motrice, suffisamment importante pour écarter durablement l’individu du niveau de développement moteur attendu pour son âge et au point d’impacter significativement son quotidien. […] Il concerne en moyenne 5% des enfants d’âge scolaire (avec de légères variations selon le test de dépistage utilisé et les valeurs seuils retenues) et plus fréquemment les garçons (sex-ratio d’environ 1,8).
Diagnostic
La démarche diagnostique, pluridisciplinaire la plupart du temps (médecin spécialisé, psychomotricien, ergothérapeute, psychologue…), s’assure que les opportunités d’apprentissage de l’enfant aient été suffisantes et que ses difficultés ne soient pas mieux expliquées par une autre altération majeure de son fonctionnement (lésion cérébrale, dystrophie musculaire, déficience intellectuelle, déficit visuel…).
Les difficultés motrices au sein du TDC sont sujettes à de nombreuses variations inter-individuelles et peuvent porter sur les activités du quotidien, scolaires, extra-scolaires, avec un possible impact négatif au niveau psycho-social (stress, anxiété…) et physiologique (surpoids…).
La comorbidité avec un autre trouble du neurodéveloppement (TDA-H, TSA…) est fréquente. L’étiologie est encore méconnue malgré les hypothèses qui tendent à éclairer certains déficits (à des niveaux neurologiques, neuropsychologiques, de modèles internes sensori-moteurs…).
Le diagnostic est possible aux alentours de 5-6 ans, âge auquel les performances motrices s’homogénéisent chez les enfants et où le passage de la maternelle à la primaire peut souligner certaines difficultés.
TDC = dyspraxie de développement
Historiquement, certains auteurs ont exposé des différences théoriques entre les dyspraxies (associées au versant cognitif du geste, troublé dans sa conceptualisation) et les TDC / TAC (davantage associés au versant moteur du mouvement, affecté dans une perspective plus dynamique en interaction avec l’environnement).
Après revue et analyse des éléments historiques, scientifiques et sociaux des publications (rapport Inserm 2020), il n’a pas été possible de différencier rigoureusement ces deux termes, considérés alors comme équivalents dans l’ensemble de l’expertise.
La nécessité d’être en adéquation avec les terminologies internationales invite à privilégier le terme de TDC (traduction officielle du « DCD » pour « Developmental Coordination Disorder »), à fortiori dans un cadre de recherche (avec nécessité de référencement) ou lors de conclusions de comptes-rendus pour faciliter la reconnaissance de handicap.
Le terme de dyspraxie reste néanmoins encore très utilisé en France (les « troubles dys » demeurant une expression particulièrement utilisée par les enseignants et les associations).
[…]
Ces troubles visuo-spatiaux sont présents dans 30 à 40 % des TDC (Costini, 2017 ; Wilson, 2013) et peuvent se retrouver dans d’autres pathologies.
Coordination vs. praxie
Nous pouvons considérer que les coordinations motrices (de la plus simple à la plus complexe) représentent un large ensemble comprenant notamment les processus praxiques.
L’appellation praxie évoque une séquence gestuelle orientée vers un but, acquise par apprentissage et qui sous-entend une planification (élaboration cognitive d’un plan d’action comprenant des étapes d’exécution), avec la plupart du temps une composante visuo-spatiale (nouer, assembler, construire, découper, tirer à l’arc…).
À titre d’exemple :
Résoudre un Rubik’s cube® nécessite de la coopération entre les deux mains (= une coordination donc), mais relève tout particulièrement d’une dominante praxique : planification, guidage visuo-spatial, nécessité d’apprentissage… alors qu’effectuer un saut en longueur d’athlétisme relèvera davantage des coordinations motrices (notamment entre les bras et les jambes lors de la course et du saut) même s’il y aura toujours une tâche de planification et programmation motrice dans une moindre mesure (à quel moment partir ? , quelle distance parcourir avant de sauter ? avec quel pied d’appui ?, etc.).
⇒ Un TDC peut tout à fait affecter ces deux situations (lenteur d’acquisition, maladresse…), mais les processus déficitaires sous-jacents seront probablement différents.
2. Évaluation de la motricité
Le bilan psychomoteur articule des observations qualitatives avec des résultats normés provenant d’outils d’évaluation.
Dans le cadre d’une suspicion de TDC nous recueillons des informations :
– anamnéstiques (troubles présents depuis l’enfance ? difficultés dans tous les secteurs de vie ? intensité des répercussions quotidiennes ?)
– cliniques (lenteur, difficulté d’automatisation, instabilité des performances…)
– standardisées (tests et questionnaires)
⇒ qui renseignent les critères de mesure, d’impact, d‘apparition et d’exclusion du DSM 5 (critères A, B, C, D).
Les épreuves de dextérité manuelle et digitale, de coordinations fines et globales, d’équilibre statique et dynamique, de tonus et d’imitation… rendent compte de la qualité des productions motrices et de l’équipement neuro-moteur de l’enfant.
(Voir Albaret & De Catelneau, 2005 pour revue des critères de validité et de fiabilité des tests au sujet de la motricité).
[…]
3. Explorer les processus déficitaires : l’« Iceberg » du TDC
L’image de l’iceberg est souvent utilisée à visée pédagogique pour confronter le marqueur visible d’un phénomène à ses aspects demeurant plus discrets. Nous proposons ici une adaptation pour les TDC. En effet, si le terme TDC renvoie à l’aspect diagnostic et quantifiable, il n’en demeure pas moins que tous les sous-bassements et fonctions psychomotrices impliqués dans le mouvement sont à explorer.
Nous faisons allusion aux compétences de l’enfant dans les domaines : perceptif, praxique, neuromoteur, d’intégration sensorielle, attentionnel et exécutif, motivationnel et émotionnel.
[…]
Tous ces aspects sont ici artificiellement séparés pour en encourager leurs évaluations respectives et l’observation différentielle, mais demeurent en réalité intriqués.
Ils ne sont pas exposés comme « facteurs causaux », mais comme des champs à investiguer pour souligner les zones de fragilités susceptibles de majorer la maladresse motrice ainsi que les compétences sur lesquelles s’appuyer en guise de compensation.
Si notre première intention est normative en contribuant à objectiver le trouble de façon ciblée, la seconde est ainsi réflexive en investiguant un maximum de ces processus sous-jacents.
Cette représentation inclut bien entendu les interventions spécifiques des différents professionnels de santé gravitant autour de l’enfant (médecin, orthoptiste, ergothérapeute, psychologue, orthophoniste, neuropsychologue…).
Le témoignage des familles, la plainte de l’enfant et le retentissement du trouble sur son quotidien conservent une importance prédominante dans cette démarche.
Nous pensons qu’avoir cet « iceberg » à l’esprit peut nous guider vers une analyse clinique encore plus exhaustive pour affiner au mieux les objectifs de rééducation, guidance parentale, moyens de compensation et adaptations pédagogiques à venir, garantissant l’épanouissement de l’enfant.
4. Rééducation du TDC et dispositifs psychomoteurs ciblés
Les recommandations actuelles mettent en avant les approches Top-Down (centrées sur la tâche) : les programmes d’auto-instruction (Meichenbaum, 1971), la méthode CO-OP (Polatajko, 2001), l’approche NTT (Schoemaker, 2003 & Niemeijer, 2007), l’imagerie motrice (Wilson, 2002) car bénéficiant d’un bon niveau de preuve d’efficacité. […]
Les psychomotriciens peuvent associer à ce type d’approches recommandées de nombreux dispositifs visant à diminuer les déficits couramment rencontrés chez les enfants avec TDC (rapport Inserm p. 30).
Nous pensons aux parcours psychomoteurs (sollicitant équilibration et organisation dans l’espace…), aux situations impliquant des séquences gestuelles (chorégraphies, manipulations d’objets…), aux activités avec anticipation rapide (jeux d’adresse, de jonglage, de raquettes…), aux mises en situation avec suppression de la vision et/ou variations tactiles et proprioceptives lors de l’action (pour renforcer la qualité des feedbacks sensoriels), aux exercices requérant deux composantes motrices complémentaires (contrôle postural et précision du geste) ou encore des situations de double tâche avec un versant cognitif et un versant moteur (voir jeu mnémomoteur pour exemple).
Pour conserver de la pertinence dans ces approches, nous encourageons de multiplier les occasions d’en extraire des stratégies généralisables au quotidien (analyse visuelle de l’environnement, diminution de l’impulsivité, meilleure régulation des émotions…).
Nous usons ainsi de dispositifs ludiques, créatifs et valorisants pour l’enfant, lui permettant d’améliorer ses compétences perceptivo-motrices et l’investissement de son corps aussi bien dans son versant fonctionnel que comme support des interactions aux autres…
Aurélien D’Ignazio, Psychomotricien D.E & Master – Praticien en cabinet libéral et hôpital de jour, chargé d’enseignement à Paris (Institut Supérieur de Rééducation Psychomotrice et Pitié Salpétrière) Co-auteur du livre 100 idées pour développer la psychomotricité des enfants
Nous vous invitons à vous rendre sur son blog pour consulter l’intégralité du compte rendu de sa recherche : psychomotricien-liberal.com.
Et pour en savoir plus, n’hésitez pas à lire le livre 100 idées pour développer la psychomotricité des enfants !