Notre genre influe-t-il sur nos émotions ? Pour répondre à cette question, nous nous sommes adressés à Natacha Butzbach. Natacha est psychologue, spécialiste de l’enfance et de la parentalité. L’inclusion est une de ses valeurs fortes, qu’elle met en avant aussi bien dans sa pratique que dans son écriture. C’est pourquoi nous avons choisi d’aborder avec elle la question du genre, et plus particulièrement celle de l’influence du genre dans l’accompagnement et l’apprentissage de la régulation des émotions. Retrouvez, ci-après, son analyse et ses conclusions.
Des stéréotypes tenaces
Il est fort probable que vous ayez déjà entendu qu’un garçon doit être fort et ne pas pleurer. Quant aux filles, elles sont très mal perçues lorsqu’elles sont en colère – ces hystériques ! – ou qu’elles ne sont pas assez discrètes.
D’après des études, très sérieuses1, les petites filles intérioriseraient davantage leurs émotions (colère, anxiété) que les garçons. En d’autres termes, elles expriment moins de colère que les garçons. Alors qu’eux extériorisent beaucoup plus leurs émotions, et ce depuis la petite enfance. Il est également intéressant de constater que les filles expriment plus leurs émotions positives comparativement aux garçons, notamment à partir de la préadolescence.
Toutefois, il apparaît que l’âge, le contexte social ainsi que la perception des situations modèrent le résultat des études sur les différences entre les genres au sujet de l’expression émotionnelle.
Mais comment ces différences apparaissent-elles ?
Comme d’autres sujets dans l’éducation et la société en général, les enfants sont victimes des stéréotypes dans leurs expressions émotionnelles et, par extension, dans leurs vécus émotionnels.
Pour être plus précis, dès la naissance, les enfants sont sujets, notamment, aux stéréotypes liés au genre qui sont définis comme suit :
Une opinion généralisée ou un préjugé quant aux attributs ou caractéristiques que les femmes et les hommes possèdent ou doivent posséder et aux rôles qu’ils jouent ou doivent jouer. Un stéréotype lié au genre devient néfaste dès lors qu’il limite la capacité des femmes et des hommes de développer leurs compétences personnelles, d’exercer un métier et de prendre des décisions concernant leur vie2.
Nos émotions sont influencées
Ainsi, la perception de ce que devrait ou non être un garçon ou une fille va impacter nos comportements envers elleux et influencer leur développement identitaire ainsi que leurs expressions émotionnelles. Il a déjà été largement documenté que nos attitudes avaient des impacts dans le comportement des enfants et même leur réussite académique. L’effet Rosenthal et Jacobson3 , plus connu sous le nom de l’effet Pygmalion, a mis en évidence ce point. Nos préjugés par rapport aux enfants influencent la manière dont ceux-ci évoluent. C’est ainsi que les enfants perçus comme intelligents et doués vont attirer plus d’attention positive et d’encouragement, les aidant à progresser d’autant plus.
Des émotions genrées
Un parallèle est possible avec les questions émotionnelles. Il est quasiment interdit aux garçons d’exprimer des émotions fortes, que ce soit de la joie ou de la tristesse, sous peine d’être considérés comme anormal, voire de subir des insultes homophobes. Afin d’assurer leur intégration sociale, ils vont progressivement se couper de leurs émotions et diminuer leurs expressions. A contrario, la colère est une émotion acceptée, voire valorisée chez les garçons. Depuis tout petit, la colère est entretenue dans son expression la plus brute sous prétexte que « les garçons font ça ! ».
Les filles, quant à elles, sont davantage reconnues et valorisées dans leurs expressions émotionnelles. Les femmes sont perçues comme plus sensibles, émotives ou plus empathiques. Grâce à ces stéréotypes, les femmes peuvent appréhender leurs émotions et mettre en place des stratégies cognitives de régulation émotionnelle. Mais une émotion est proscrite aux femmes : la colère !
La colère, une émotion réservée aux garçons ?
Le diagnostic d’hystérie ne date d’ailleurs que d’un siècle, et ce terme est souvent utilisé pour discréditer les femmes qui expriment avec puissance leur colère. Ce mépris de la colère comme émotion chez les petites filles commencent très tôt. Les remarques acerbes du type « Tu n’es pas belle quand tu fais une colère ! » et d’autres réactions vives apprennent aux filles à réfréner leur colère et, par extension, à ne pas s’opposer avec virulence. Rappelons que la colère, comme toutes les émotions, a une utilité : elle traduit une insatisfaction et mobilise de l’énergie pour nous faire respecter. Abolir la capacité à éprouver et exprimer de la colère engendre une posture de soumission chez les filles, qui peut perdurer à l’âge adulte, créant des victimes idéales.
La colère comme substitut émotionnel
Il n’est pas possible, à mon sens, de faire l’économie d’envisager les explosions des colères des petits garçons et des hommes comme des décharges émotionnelles… inhérentes au fait qu’ils n’ont pas pu vivre librement toute leur palette émotionnelle, qu’ils ne sont ainsi pas capables de reconnaître et de nommer leurs émotions. Il a été largement reconnu que les hommes développaient moins de stratégies cognitives de régulation émotionnelle. Ce qui ne se dit pas ne peut pas se penser… Ils se rabattent alors sur de la régulation émotionnelle externe comme le recours aux substances psychoactives comme l’alcool, au tabac et la violence physique.
L’absence de capacité à reconnaître les émotions, chez soi-même et chez autrui, et la difficulté à les réguler créent des réactions de violences vis-à-vis de celleux qui remettraient en question leurs perceptions. La colère étant l’émotion la plus saillante, elle va s’exprimer en premier lieu dans toutes les situations d’inconfort.
Lutter contre les stéréotypes dès le plus jeune âge
Il est consternant de voir les effets de ces stéréotypes liés au genre dans les rapports sociaux. Cela perpétue inlassablement un rapport de soumission/domination entre femmes et hommes. Cette dialectique s’exprime dans les couples et la manière de conduire des relations sexuelles, par exemple. Mais aussi dans les rapports entre les filles et les garçons lors des jeux et des interactions plus globalement. Les garçons vont être considérés comme chahuteurs et le harcèlement discret sera toléré, comme éteindre la lumière des toilettes. Cela sera interprété comme de la badinerie, voire même justifié parce que « Qui aime bien châtie bien ! ».
Une prise de conscience à l’école
Dans les cours de récréation4, les garçons occupent la majorité des espaces, notamment pour jouer à des jeux de ballons, dont les filles sont majoritairement exclues. Les filles sont à la marge, invisibilisées et doivent se cantonner à des jeux calmes qui prennent peu d’espace. De nombreux établissements, alertés par des études sur le sujet, mettent désormais en place des cours de récréation dégenrées, de manière à diminuer la ségrégation entre les garçons et les filles.
Comment éduquer nos enfants dans ce sens ?
Cependant, si la mise en place d’espaces est favorable, il est nécessaire d’effectuer un travail sur les émotions et les stéréotypes liés aux genre AVEC les enfants. Comment les filles peuvent-elles s’échapper de cette logique de soumission si elles n’ont pas conscience que cela existe ? Comment les garçons peuvent être vigilants aux ressentis des personnes autour d’eux si on ne leur apprend pas à être conscients des leurs ?
Tous les enfants ont besoin d’être corégulés, c’est-à-dire être aidés dans la régulation de leurs émotions. Cela afin d’apprendre progressivement à s’autoréguler. C’est un processus long qui passe par la reconnaissance des émotions, l’empathie, la proposition de stratégies pour traverser les émotions fortes. Mais aussi par le comportements des adultes qui doivent autoréguler leurs propres émotions. Cela concerne les deux genres.
Une transmission difficile
Aujourd’hui, la difficulté vient du fait que les adultes ont du mal à s’extirper de leurs propres stéréotypes puisqu’ils en ont, elleux aussi, été victimes. En effet, reconnaître et mettre en place des alternatives dans l’accompagnement des enfants est parfois une confrontation dure avec son propre vécu d’enfant et à ses émotions refoulées.
Des croyances fortement ancrées
Grâce à la recherche en sciences sociales et psychologiques, nous percevons plus clairement l’influence des croyances sur le comportement des enfants et des futurs adultes. La modification de nos comportements et la démocratisation d’une pédagogie dégenrée permettront plus d’équité dans les rapports sociaux. Pour finir, il semble indispensable pour la santé, tant physique que psychologique, de tou·te·s que la perception des possibles soit autre que binaire fille/garçon bien catégorisé·e·s selon leurs intérêts respectifs.
Une société genrée
Notre société française, à travers notre langue totalement genrée, a du mal à transcender la binarité. Ainsi, elle renforce les stéréotypes liés au genre. Les insultes sexistes et les conséquences du sexisme touchent tous les individus. L’éducation genrée explique, encore aujourd’hui, pourquoi certains corps de métier sont davantage féminins. Notamment pour les métiers du Care (le soin aux autres). Alors que d’autres sont plus masculins, en particulier les métiers techniques ou comprenant des enjeux de pouvoir.
Les différences de genre dans la compréhension émotionnelle impactent durablement les relations interpersonnelles. Si elles passent inaperçues en couple ou en amitié, il s’avère que devenir parents révèlent toutes les différences sociales liées au genre.
Sources
1 Chaplin, T. M., & Aldao, A. (2013). Gender differences in emotion expression in children: A meta-analytic review. Psychological Bulletin, 139(4), 735–765.
2 Pour en savoir plus : https://www.ohchr.org/fr/women/gender-stereotyping
3 Robert Rosenthal et Kermit L. Fode, « (en) The effect of experimenter bias on the performance of the albino rat » [« Les effets du biais de l’expérimentateur sur la performance du rat albinos »], Behavioral Science, vol. 8, no 3, 1963, p. 183–189 (ISSN 0005-7940 et 1099-1743, DOI 10.1002/bs.3830080302)
4 Emmanuelle Gilles, La cour de récréation à l’épreuve du genre au collège, Géo Confluences, 21.01.2021
5 Clara Champagne, Ariane Pailhé et Anne Solaz, Le temps domestique et parental des hommes et des femmes : quels facteurs d’évolutions en 25 ans?, Economie et Statistique, 2015
Je suis psychologue spécialisée en périnatalité et accompagnement parental. J’accompagne les (futurs) parents dans toutes leurs réflexions autour de leur parentalité et leurs états psychiques. Dans ma perspective de l’enfance et de la parentalité, l’accent est mis sur la bienveillance pour tou·te·s.
La parentalité est une voie de développement personnel. Mon objectif est que chacun·e puisse se sentir au mieux en tant que parents, mais aussi en tant qu’individu à part entière. C’est pour cette raison que ma seconde activité est la rédaction d’articles et de publications, de manière à soutenir le plus de personnes possible.
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