Le Trouble Alimentaire Pédiatrique (TAP) touche environ 25% des enfants dans la population générale. Et il est encore plus présent dans certaines pathologies, telles que les troubles neurodéveloppementaux. Ce trouble est notamment présent chez près de 61 % des enfants avec un Trouble du Spectre de l’Autisme (TSA). Marie-Amélie Coutansais, orthophoniste et Amélie Werba, ostéopathe, nous offrent un regard croisé sur l’importance d’une prise en charge conjointe du TAP.
Le Trouble Alimentaire Pédiatrique est défini dans la CIM 111 (version révisée en 2022) par une « perturbation de l’apport oral en nutriments, inappropriée pour l’âge, d’une durée d’au moins deux semaines et associée à un ou plusieurs des éléments suivants : dysfonctionnement médical, nutritionnel, des compétences oro-sensori-motrices et retentissement psycho-social ». Cette perturbation ne peut être expliquée par des carences alimentaires, un trouble des conduites alimentaires ou des normes culturelles.2
Le TAP est donc, à présent, un diagnostic en tant que tel, et non plus un symptôme. Le TAP s’analyse selon 4 grands domaines : médical, nutritionnel, compétences alimentaires (oro-motrices et sensorielles) et psycho-social.
>> À lire : »Les troubles de l’oralité : décryptage »
Les signes du trouble alimentaire pédiatrique
Ces difficultés peuvent apparaître très tôt, parfois dès les premiers mois de vie, par des difficultés de succion lors de l’allaitement ou de la prise de biberon, lors de la diversification, du passage à la cuillère ou aux morceaux. Il peut s’agir également d’une sélectivité alimentaire importante. C’est pourquoi le dépistage précoce est primordial, d’autant plus que les difficultés alimentaires peuvent être le premier signe d’autres troubles, par exemple d’un Trouble Neurodéveloppemental.
>> À lire : « Troubles de l’oralité alimentaire : nos ressources »
Regards croisés
Le lien entre les différents professionnels impliqués dans la prise en soins de ces enfants nous semble essentiel et riche. Il permet de gagner un temps précieux face à une trouble particulièrement générateur de stress pour les familles concernées.
En considérant ces différents points et notre expérience clinique, nous avons mené une réflexion sur le travail en partenariat entre l’orthophoniste et l’ostéopathe. Notre expérience auprès d’enfants ayant un Trouble Neurodéveloppemental et l’observation des difficultés alimentaires de ces derniers nous ont permis de mettre en lumière la complémentarité entre le travail de l’orthophoniste et celui de l’ostéopathe. Nous avons pu mettre en corrélation, dans notre pratique, l’intervention de l’ostéopathe et l’évolution facilitée de l’enfant en orthophonie. Tout ceci nous a amenées à ouvrir une consultation « regards croisés », en présence d’une ostéopathe et d’une orthophoniste.
Que fait l’orthophoniste ?
L’orthophoniste, après avoir réalisé un bilan des fonctions oro-myo-faciales (c’est-à-dire en relation avec le langage, la communication et l’alimentation), pourra identifier des difficultés oro-sensori-motrices pouvant entraîner des difficultés de succion, de coordination succion / déglutition / respiration, de mastication, des difficultés lors de la diversification, du passage à la cuillère ou aux morceaux. Chez un tout-petit (avant 4-6 mois), l’orthophoniste cherchera la présence des réflexes oraux. Pour les plus de 6 mois également, il observera la mobilité de la mandibule, de la langue, la tonicité des joues, des lèvres ainsi que leur étanchéité. Il regardera également l’aspect du palais, et la ventilation. Une observation fine de la sensorialité du corps, du visage et en intra-buccal sera faite, si l’enfant est disponible.
Il pourra s’agir alors de travailler sur la poursuite d’un allaitement, de la prise du biberon chez un tout petit, de la gestion des morceaux pour un plus grand, ou bien de travailler sur une sélectivité alimentaire.
Ses domaines d’action
L’orthophoniste va pouvoir agir sur trois des domaines concernés par le TAP :
- nutritionnel (en adaptant les textures par exemple),
- compétences alimentaires (travail oro-moteur, adaptations posturales et installation, gestes de soutien et manœuvres facilitatrices, stimulations sensorielles)
- psycho-social (approche comportementale, adaptation de l’environnement et des outils, guidance et partenariat avec les parents).
L’orthophoniste travaillera avec différents outils pour l’approche oro-motrice, veillera à proposer de multiples stimulations sensorielles (coussins texturés, main / doigt, outils texturés, outils vibrants, le froid, les odeurs, etc.), toujours avec douceur et avec l’accord du bébé ou de l’enfant. L’orthophoniste travaillera également en situation d’alimentation, en proposant des « repas thérapeutiques », mais aussi en travaillant sur les repas à la maison. Il pourra également, en fonction de l’âge de l’enfant, proposer d’autres contenants, d’autres outils pour s’alimenter. Ce travail se fera en partenariat avec l’enfant et ses parents, en écoutant attentivement les problématiques rencontrées au quotidien et en définissant ensemble les objectifs.
Que fait l’ostéopathe ?
L’ostéopathe, grâce à un interrogatoire préliminaire précis et global, évaluera la mobilité des différentes parties du corps du bébé (membres, système viscéral, langue, mâchoire…). Lors de la réalisation de ces tests, il pourra mesurer la sensorialité corporelle du patient.
Dans l’approche d’un trouble de l’oralité, l’observation et évaluation de la sphère orale sont primordiales.
L’ostéopathe va alors évaluer la mobilité de la langue ainsi que de la mâchoire. Tout d’abord, en testant le réflexe de succion, ce qui lui permettra d’observer ou non la présence d’un réflexe nauséeux. Puis, ce sera le moment de palper le palais afin d’en définir sa forme (plat, creux, étroit) et de se faire une première idée sur la mobilité de la langue.
Puis l’ostéopathe testera l’extension de la langue (est ce qu’elle peut sortir correctement de la bouche…), mais aussi son élévation et latéralisation. Il en profitera pour évaluer l’ouverture de la bouche afin de déceler d’éventuelles tensions musculaires au niveau de la face ou des lèvres.
En fonction de ce que l’ostéopathe aura retrouvé aux différents tests ostéopathiques, il pourra relâcher les tensions. Permettant ainsi une meilleure mobilité, et donc une meilleure fonctionnalité oro-myo-faciale.
Le rôle des parents
Afin d’optimiser sa prise en charge du trouble alimentaire pédiatrique , l’ostéopathe guidera les parents avec des exercices à répéter à la maison.
La prise en soin ostéopathique, en règle générale bien sûr, mais en particulier chez les tous petits et enfants, se fait en douceur et en présence des parents. Mais aussi, en prenant le temps afin que l’enfant ou bébé ne développe pas d’avantage d’appréhension au contact de cette zone. Cela est très important pour son bien-être, mais aussi pour d’éventuelles futures prises en soins (orthophoniste, Orl, dentiste…).
>> À découvrir : « Conseils de parents : troubles de l’oralité »
Une consultation en « regard croisés » pour un accompagnement global du TAP
Notre consultation « regards croisés » se déroule de la manière suivante :
- Les petits patients sont adressés par des confrères, principalement pédiatres, ORL, IBCLC ou consultante en lactation, sages-femmes, orthophonistes.
- Nous transmettons en amont de la consultation à la famille un document explicatif et informatif sur tous les aspects pratiques.
- Si la famille est d’accord, nous programmons un rdv, durant lequel l’ostéopathe et l’orthophoniste recevront, ensemble, la famille et l’enfant.
- Un questionnaire est alors envoyé, pour préparer ce rdv.
- Nous prenons le temps d’écouter les parents. Puis nous procédons à nos bilans respectifs et complémentaires. Nous alternons nos interventions et procédons en fonction de la réceptivité de l’enfant. Nous veillons à toujours respecter la volonté et le confort du petit patient.
- Enfin, à l’issue de ce bilan, nous présentons à la famille les résultats de nos observations. Et lui proposons une prise en soins si nécessaire.
Ce que nous voulions partager
En se basant sur notre expérience clinique et sur nos connaissances de la prise en soins des difficultés alimentaires du jeune enfant, nous avons mis en place cette consultation « regards croisés de l’ostéopathe et de l’orthophoniste ». La complémentarité entre nos deux professions nous permet de travailler en équipe et en partenariat avec la famille. Et ce, afin de leur proposer la prise en charge la plus efficace et la plus adaptée possible. Nous souhaitons ainsi accompagner au mieux les tout-petits ayant des difficultés alimentaires et leurs familles.
Si, dans le cadre de la prise en charge de votre enfant, vous avez expérimenté un accompagnement pluridisciplinaire, n’hésitez pas à nous le partager dans les commentaires.
Sources :
1 La CIM11 correspond à la dernière Classification Internationale des Maladies, par l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé)
2 Goday and all. Nouvelle classification Pediatric Feeding Disorders (Toubles alimentaires pédiatriques, Journal of Pediatric Gastroenterology and Nutrition, 01.2019
Amélie Werba : Ostéopathe D.O à Bulle D’air, formée à la prise en charge des nourrissons et des femmes enceintes, à la prise en charge des freins restrictifs buccaux, à l’allaitement et aux troubles sensoriels et neuro-développementaux. Certifiée d’un Diplôme Universitaire à la faculté de Bichât sur la périnatalité.
Marie-Amélie Coutansais : orthophoniste au centre Bulle d’Air, formée au Makaton, à l’accompagnement parental, au programme Talk Tools, à la prise en soin des troubles de la succion chez le bébé allaité et à l’approche S.O.S (approche séquentielle orale et sensorielle de l’alimentation) ». Et formatrice pour Ambition Handicap – asso Joker.
Pour suivre les activités du Centre Bulle d’air : sur le web et sur facebook
Bonjour,
Ma fille Nyla (14mois) présente un TAP. Elle ne prend plus de poids et mange très peu. Elle est même ce que j’appelle plafonner. Elle est suivie par une orthophoniste spécialisé dans les troubles de l’oralité et une kinésithérapeute associée depuis ses 3 mois. Dans un premier temps elle a subit une freinotomie à 5 mois car ses freins été restrictifs mais cela n’a pas solutionné le problème. Un gastro pédiatre l’a également prise en charge et elle a été hospitalisée mais elle n’a aucun souci sur le plan médical (mise à part son insuffisance pondérale) nous avons donc été prise en charge (encore actuellement) par l’UPN (unité parents nourrisson) du CHU st Eloi qui commence à nous éclairer un peu plus sur son trouble qui serait dû à un trouble du comportement. Nous sommes actuellement toujours suivi par la kiné l’orthophoniste et l’UPN et maintenant elle va également être prise en charge par la MPEA peyre Plantade dans le cadre d’un trouble neurologique à définir car elle est encore jeune mais dans le sens ou son grand frère est diagnostiqué TDAH avec un TOP/TC etc…
Le fait d’être suivi par tous en même temps permet d’avancer plus vite et de préciser le problème mais aussi de la faire progresser plus vite.
Merci pour le partage.
Très cordialement,