À l’occasion du mois de l’autisme, nous avons interrogé Lali Dugelay, adulte avec autisme diagnostiquée il y a quelques mois. Elle est la créatrice du site Aspie At Work pour faire connaître l’autisme, et ainsi démontrer que toutes les personnes en situation de handicap ont une place en entreprise ordinaire, malgré les préjugés qui ont la vie dure. Dans cet article, découvrez son parcours, ses conseils et son avis pour améliorer l’inclusion des personnes en situation de handicap.

Pouvez-vous vous présenter ?

Je m’appelle Lali Dugelay, 44 ans, maman de 2 garçons pour mon premier métier à plein temps… et responsable communication pour mon second métier à presque plein temps. Et accessoirement, bénévole pour des associations œuvrant en faveur du handicap ou du grand âge le reste du temps (!). Un tantinet hyperactive, oui 

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Pourquoi avez-vous créé le site « Aspie at work » ?

Je me suis retrouvée sans emploi fin octobre, je me suis dit que c’était le bon moment pour mettre en visibilité mes compétences tout en faisant connaître le syndrome d’Asperger (ou l’inverse), et ainsi démontrer que nous avons tou·te notre place en entreprise ordinaire, malgré les préjugés qui ont la vie dure. 

Aspie at work

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À quel moment avez-vous été diagnostiquée porteuse d’autisme ? Comment avez-vous vécu l’annonce du diagnostic ?

J’ai officiellement reçu mon diagnostic il y a quelques mois, mais c’est une démarche que j’avais entamée il y a près de 10 ans. À l’époque, j’avais eu du mal à trouver des spécialistes pouvant poser le diagnostic, et je m’étais dit que de toute façon ça ne changerait rien à ma vie puisque j’étais dans l’hyper-adaptation depuis toujours. Mais finalement, ce diagnostic est un vrai soulagement : je m’offre enfin la possibilité d’être vraiment moi, avec mes spécificités, et avec la possibilité d’en parler à mon entourage personnel ou professionnel, ce qui je l’espère, pourra à l’avenir me permettre d’évoluer dans un environnement plus propice à ce handicap invisible. 

Comment avez-vous vécu ce handicap invisible pendant votre enfance ou à l’école  ?

Il n’y avait pas de mots posés dessus. Je suis la 3e de 4 enfants, j’ai une cinquantaine de cousins germains, dans le cadre familial ça allait plutôt bien. En revanche, seule à l’école, sans amis, mais sans en chercher non plus. Je devais pourtant présenter inconsciemment un comportement atypique puisque j’étais très souvent chahutée, harcelée. Je n’ai commencé à me sentir bien qu’au lycée, puis surtout à la fac où je n’étais qu’une étudiante parmi d’autres, ça m’allait très bien de me fondre dans la masse.

Et dans le monde professionnel, quelle a été votre expérience ?

J’ai inconsciemment choisi un métier (la communication) aux antipodes de mon syndrome. Je sentais que c’était cela qu’il fallait que je fasse pour rester attachée à la réalité du monde qui nous entoure, aux neurotypiques. Je m’intègre partout, depuis toujours, j’observe énormément, je fais « comme les autres », mais parfois au prix d’une fatigue physique liée à l’hyperconcentration que cela demande. Une forme de thérapie, en somme, puisque je suis à l’avant-poste de la visibilité de l’entreprise. Je suis une passionnée du mot, et cela me sert au quotidien, puisque je sais traiter tout type d’information sur tout type de support, avec une justesse d’expression qui sert la stratégie de l’entreprise.  

L’association le Club des Six, des habitats inclusifs sous forme de colocations

Le 1er mars, j’ai intégré l’équipe du Club des Six, qui est une association qui crée et gère des habitats inclusifs sous forme de colocations pour 6 personnes vivant avec un handicap. L’inclusion fait naturellement partie de l’ADN des fondateurs de cette association, et mes entretiens d’embauche se sont passés comme ce que j’avais toujours espéré : en toute connaissance de cause de leur part puisque j’avais annoncé sur mon CV que je suis autiste de haut niveau. Je n’ai pas eu à surjouer la « normalité ». Et j’ai été embauchée pour ce que je suis : mes compétences avant tout bien sûr, mais aussi pour ma personnalité décalée. Maïlys Cantzler et Maïté Borde, avec qui j’ai passé mes entretiens, ont ensuite mis en place les quelques aménagements nécessaires à mes spécificités : un équipement informatique adéquat au bureau et à la maison, où je peux rester en télétravail autant qu’il me plaît. Et lorsque je vais au bureau, mes collègues ont également un comportement très inclusif et font en sorte que je ne subisse pas une surstimulation auditive, par exemple. Au Club des Six, je ne me sens pas jugée, mais appréciée pour la fraîcheur que j’apporte avec ma façon de penser décalée. Une chance inouïe !! 

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Quels sont les principaux challenges des personnes avec autisme, dites « Aspie » ?

Je ne peux parler que pour moi : il y a autant de formes du syndrome qu’il y a d’individus le portant. Cela dépend de l’âge auquel vous êtes diagnostiqué, de l’environnement dans lequel vous évoluez, de la bienveillance de votre entourage. En ce qui me concerne, mon principal challenge est d’être capable d’identifier et de comprendre les non-dits, le langage non verbal, les sous-entendus. Un mot est un mot. Je ne peux pas comprendre ou interpréter un autre sens. C’est un atout dans mon métier puisque la marque cherche à faire passer un message clair et précis, mais ce peut être une difficulté dans certaines conversations, même avec mes proches. Cela dit, le plus gros challenge, c’est peut-être de prendre le métro aux heures de pointe, car l’hypersensorialité associée au syndrome n’est pas toujours aisée à supporter. 

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Pour vous, qu’est-ce que l’inclusion ? Va-t-on dans la bonne direction ? Quelles seraient vos recommandations ?

L’inclusion, c’est voir dans la différence une réelle valeur ajoutée et l’occasion d’offrir à tous l’opportunité de réaliser que le monde n’est pas uniforme, et que nous nous enrichissons des personnalités des uns et des autres. Mais la différence ou simplement la méconnaissance font peur. Alors qu’un monde multicolore et pailleté, c’est quand même plus chouette qu’un monde composé de clones, non ? Je pense que l’on progresse, mais pas bien vite. Il faudrait que l’inclusion soit beaucoup plus généralisée dès les premières années d’école, car les enfants sont bien plus bienveillants que les adultes : ils ne voient pas les différences ou font preuve de camaraderie pour aider leurs pairs.  En grandissant, il leur semblerait naturel de continuer à évoluer avec des collègues atypiques. Il faudrait donc que les enseignants soient formés à cela. On en est loin et tout ne repose pas sur l’Éducation nationale… Je me demande toujours quelle est la portée de journées nationales ou mondiales pour tel ou tel handicap : cela intéresse-t-il un autre public que celui concerné par ledit handicap ? Cela fait-il progresser l’inclusion ? Ce sont de vraies questions, je ne sais pas… 

Connaissez-vous Hop’Toys ?

Évidemment ! J’y trouve un catalogue très complet d’outils pédagogiques qui m’aident au quotidien à expliquer mon handicap, et également des objets ludiques qui contribuent à soulager l’un de mes enfants qui souffre d’un autre type de handicap.  

Le mot de la fin…

Longue est encore la route pour faire changer le regard porté sur le handicap, et notamment sur le handicap invisible qui demeure auréolé d’une forme de scepticisme. On me dit souvent qu’on a du mal à croire que je suis vraiment autiste, car j’ai l’air normale. Eh bien, bonne nouvelle : oui, je suis normale ! Mais avec mes spécificités ! J’espère que des exemples d’inclusion professionnelle réussie comme le mien feront évoluer le regard des employeurs qui se font souvent une montagne de ce que pourrait engendrer le recrutement de personnes vivant avec un handicap. 

Alexandra Valette, Cheffe de projet communication et influence.

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