En quoi l’autisme chez l’adulte pose-t-il question ? Quatre adultes sur cinq déclarent rencontrer des difficultés pour accéder à une évaluation et obtenir un diagnostic officiel. Ils sont également nombreux à faire l’objet d’erreurs de diagnostic. Dans cet article, retrouvez un extrait du livre Autisme, Le passage à l’âge adulte des Éditions Tom Pousse, par René Pry, professeur des universités émérite et Éric Pernon, maître de conférences associé à l’université Paul Valéry de Montpellier.
La problématique du diagnostic tardif chez les personnes avec TSA-SDI
Dans l’autisme, la problématique d’un diagnostic tardif concerne essentiellement les personnes chez lesquelles on ne note pas de déficience intellectuelle associée. Dans le trouble du spectre de l’autisme sans déficience intellectuelle (TSA-SDI), les personnes concernées ont des capacités de communication verbale. Elles ont un niveau cognitif appréciés au moyen d’épreuves standardisées, qui se situent dans la moyenne, ou au-delà, des personnes de même âge. On estime que ces adultes TSA-SDI représenteraient au moins 50% de la population adulte avec TSA.
Mais alors qu’une partie de ces personnes ont été diagnostiquées dès leur enfance, beaucoup d’autres ne sont repérées qu’à l’âge adulte. Malgré un nombre croissant de diagnostics posés après 18 ans, les adultes avec TSA-SDI sont souvent repérés tardivement. Certains ne sont même jamais diagnostiqués.
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Les femmes diagnostiquées plus tardivement ?
De façon constante, les femmes semblent être diagnostiquées à un âge plus avancé que les hommes. Ce diagnostic plus tardif conduit à faire l’hypothèse d’un déterminant : réelle différence de phénotype non repérée par les outils d’aide au diagnostic et les critères cliniques actuels ? Et/ou des facteurs indépendants du trouble, tels que des ressources différentes entre hommes et femmes ? Ou des facteurs sociologiques relatifs au genre ?
Quatre adultes sur cinq déclarent rencontrer des difficultés pour accéder à une évaluation diagnostique et obtenir un diagnostic officiel. Ils sont également nombreux à faire l’objet d’erreurs de diagnostic. Lai et Baron-Cohen (psychologue et directeur du centre de recherche sur l’autisme de l’université de Cambridge), vont jusqu’à décrire ces adultes non repérés dans l’enfance et repérés tardivement comme une « génération perdue » (« lost generation »). Le corpus de connaissances concernant les adultes avec TSA-SDI est encore limité. Il porte la plupart du temps sur des échantillons anglo-saxons.
Une évolution de l’autisme différente entre les femmes adultes et les hommes adultes
Toutefois, nous disposons aujourd’hui de données concernant un échantillon français d’une centaine de personnes (105 exactement : 80 hommes et 25 femmes) relevant de ces caractéristiques. On note que dans la grande majorité des femmes le niveau cognitif non verbal (QINV) se situe dans la moyenne ou au-delà, avec un profil autour de la moyenne plus homogène (variabilité moindre) que chez les hommes. De plus, ce profil semble rester stable tout au long de la vie adulte. Chez les hommes, le niveau cognitif non verbal à l’âge adulte est meilleur chez ceux diagnostiqués tardivement que chez ceux qui ont été diagnostiqués dans l’enfance.
L’association entre un QINV dans la moyenne et un diagnostic tardif ne peut laisser suggérer que le QINV serait associé à une symptomatologie modérée dans la mesure où à l’âge adulte, il n’existe pas de liaison entre ces deux variables. En revanche, le QINV pourrait permettre une meilleure compensation et retarder l’émergence de difficultés significatives entraînant le diagnostic.
Les hommes diagnostiqués à l’âge adulte présentent moins souvent un développement atypique que ceux diagnostiqués dans l’enfance
Sur le plan du développement du langage, une apparition tardive (après 2,5 ans) ne concerne qu’une minorité des personnes avec TSA (26,7% des hommes et 17,4% des femmes). Par ailleurs, les hommes diagnostiqués à l’âge adulte présentent moins souvent un développement atypique que ceux diagnostiqués dans l’enfance. Cela inciterait donc à relativiser la portée de ce critère pour le diagnostic de l’autisme à l’âge adulte. Toutefois, en général, la proportion des personnes autistes présentant un développement atypique du langage reste significativement plus à levée que dans d’autres troubles psychopathologiques, ce qui incite à la prudence.
Contrairement à ce qui a pu être avancé, au moins un homme sur deux et une femme sur deux présentent à l’âge adulte des symptômes persistants, d’intensité moyenne à levée selon les domaines. Ils sont nombreux à exprimer des difficultés liées à leur TSA.
Un besoin d’isolement pour les adultes avec autisme
Sur le plan socio-communicatif, le profil qui se dégage recoupe celui dressé par Ron (docteur en psychologie) et Coll. Avec le même type de population : hommes et femmes contrôleraient de la même façon l’utilisation de stéréotypies dans leur communication verbale. Ils maitriseraient des scripts relatifs aux comportements dans la vie quotidienne et disposeraient d’un répertoire pour répondre à autrui de manière adéquate.
En revanche, des difficultés importantes persisteraient dans des aspects centraux de l’interaction. Cela concernerait la capacité à alimenter le discours en fonction de l’interlocuteur, à enrichir le contenu de la communication, à entrer en contact avec autrui et développer ce contact, ainsi que, chez les hommes, à maintenir un contact visuel approprié. La sévérité de ces symptômes pourrait en outre peu évoluer entre l’enfance et l’âge adulte, puis tout au long de l’âge adulte. L’interaction demeure ainsi toujours un exercice probablement coûteux : 45% des hommes et 55% des femmes font état d’un besoin d’isolement.
Ce profil pourrait se situer à mi-chemin entre les deux types de profils déjà identifiés par Rau, (thèse de doctorat sur les sous-types sociaux dans les troubles du spectre autistique de haut fonctionnement), même si son étude portait sur des sujets jeunes et dont l’âge de diagnostic n’est pas connu : un groupe moins sévère, dans lequel la personne est capable d’initier le contact mais ne sait pas toujours comment le maintenir ou le développer, un autre groupe dans lequel les personnes présentent moins de difficultés de langage mais des difficultés importantes en ce qui concerne les interactions sociales.
Les intérêts restreints
Leur niveau de sévérité laisse penser que ces comportements demeurent handicapants à l’âge adulte. Ce serait à égalité dans les deux sexes. En outre, plus de 50% des hommes et des femmes expriment des difficultés dans les comportements suivants : hypersensibilités sensorielles, rigidité, intérêts restreints, ainsi que stéréotypies et maniérisme chez les hommes. Ce constat reflète ce qui est déjà rapporté dans les études ayant exploré un ou plusieurs de ces aspects. Toutefois, ce domaine de symptômes est le seul où une amélioration significative est observée au long de la vie adulte, chez les hommes entre 18-24 ans et 35-59 ans.
Ce qu’il faut retenir
Concernant la question de la différence entre les hommes et les femmes, les données pointent en faveur d’une absence de différence. Cependant, les femmes sont beaucoup plus nombreuses que les hommes à s’identifier aux caractéristiques du trouble dans les réponses auto-rapportées.
Une piste serait peut-être de considérer que les réponses des femmes restituent un vécu différent du trouble, provenant d’une conscience plus importante de leurs difficultés et des efforts plus grands qu’elles doivent mettre en œuvre pour soutenir de coûteuses stratégies de camouflage et de compensation.
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