La colère est une émotion assez contagieuse. Accompagner un enfant pendant une crise de colère n’est pas une tâche facile. Que ce soit dans notre rôle de parent ou en tant que professionnel, parfois, nos propres émotions nous dépassent. Alors, comment s’y prendre ? Comment agir concrètement ? Quelles stratégies mettre en place pour réduire les crises ? Nous avons eu le plaisir de recevoir dans nos locaux le docteur Vincent Henry, pédopsychiatre au CHU de Montpellier, pour une conférence qui a été également été retransmise en direct sur Facebook. Nous synthétisons dans cet article les idées clé de son intervention pour vous aider à réduire ces crises et à alléger votre quotidien. Bonne lecture !
Crises de colère : de quoi parle-t-on ?
Les crises de colère apparaissent quand les mécanismes de régulation sont dépassés. Des nombreux auteurs utilisent l’image d’une vague pour expliquer comment les crises de colère se développent. La crise, toute comme la vague, a un aspect dynamique, avec différentes phases. La crise de colère correspond au moment du pic de la vague. D’autres experts parlent de volcan, car il existe un aspect d’éruption, d’explosion.
Quand il y a une crise, c’est une déferlante, un tsunami. Quand la crise de colère est là, malheureusement, notre marge de manœuvre est très faible.
Il faut faire quelque chose ! Mais quoi ? Le Dr Henry propose 5 pistes pour mieux réagir pendant une crise.
5 choses à faire pendant les crises de colère :
Malheureusement, il n’existe pas de recette ou de solution miracle ! Toutefois, après plus de 10 ans d’expérience dans l’accompagnement des familles et des enfants, le Dr Henry constate qu’il y a 5 choses que nous pouvons faire et qui peuvent contribuer à réduire, ou tout du moins à ne pas empirer la crise.
1. Essayer soi-même de rester calme
Plus facile à dire qu’à faire ! Notre rôle en tant que parent ou professionnel est de cultiver le contrôle de soi. C’est-à-dire, essayer (on dit bien essayer) de ne pas rentrer dans la boucle de la colère. Si nous ne nourrissons pas cette discussion avec plus de colère, la crise s’apaisera plus rapidement. De plus, cela évitera de dire ou faire « à chaud » des choses que nous pourrions regretter par la suite.
2. Laisser l’enfant seul si cela est possible
La tension accumulée et l’énervement rendent souvent impossibles les tentatives de raisonner l’enfant. Selon le profil, l’âge de l’enfant, dans la mesure de possible, il convient de laisser l’enfant seul. Cela permet d’éviter les mécanismes d’escalade et de ne pas réalimenter la crise de colère. Quand il y a une éruption, on ne s’approche pas de la lave !
3. Se protéger ou protéger l’enfant si il y a un danger imminent
Parfois, la crise de colère est trop forte pour pouvoir laisser l’enfant seul, notamment si il y a un risque qu’il se mette en danger.
4. Essayer de rester silencieux
Quand nous sommes très énervés, nous en arrivons facilement à des injonctions paradoxales :
- Le fameux « Calme-toi », qui souvent va avoir tendance à envenimer les choses.
- Crier à l’enfant « Arrête de hurler ! »
5. Appeler de l’aide si les crises de colère sont sévères
Quand il y a des crises fortes, il faut absolument appeler à l’aide et ne pas rester seul. C’est un des points sur lesquels travaille beaucoup le Dr Henry, pour qui, trop souvent, les crises de colère ce passent en vase clos à la maison, on n’en parle pas, on en a honte…
Il existe des réseaux de soutien pour ne pas rester seul face à ces difficultés et pouvoir en parler. Par exemple, le Dr Henry anime au CHU de Montpellier des groupes de parole basés sur l’approche de la résistance non-violente pour les parents d’adolescents violents, entre autres.
>> Découvrir le site enfance-emotion.fr du docteur Vincent Henry
Solutions : comment faire pour gérer les crises de colère ?
Soyons clairs, il n’y a pas de solution miracle ! Le Dr Henry explique que, lorsqu’on en arrive à devoir contenir une crise, c’est que c’est déjà un peu trop tard : « Quand il y a la crise, il n’y a déjà plus grand chose à faire ». Il peut y avoir des conséquences à ces crises, d’où l’intérêt d’essayer de réfléchir à comment les réguler et comment faire pour que ces crises aient le moins d’impact possible, si ce n’est les éviter.
La crise de colère est le résultat d’une équation avec de nombreux facteurs. C’est la raison pour laquelle il faut essayer de comprendre les causes, les sources de tensions, travailler l’expression des émotions et mettre en place des choses que nous pouvons faire en amont pour que les crises soient les moins fréquentes possible, durent moins longtemps et qu’elles aient un impact limité sur l’enfant et son entourage.
1. Exprimer, nommer les émotions, cela aidera à les identifier et à mieux les comprendre :
Pour bien réguler les émotions, encore faut-il bien les identifier et pouvoir les nommer. L’apprentissage des émotions ne se fait pas de manière objective, c’est un processus implicite et subjectif qui passe par votre propre expression émotionnelle de parent.
C’est parce que vous nommez les émotions que, petit à petit, les enfants apprennent à les connaître.
Quand on dit à un tout petit « Oh, j’ai l’impression que tu es en colère là par rapport à ce qu’il s’est passé… » L’enfant se fait une représentation de ce qu’est la colère. Il s’agit du même processus que pour la joie, la faim, le sommeil…
À faire :
- Exprimez vos émotions négatives :
« J’ai eu très peur, tu aurais pu tomber et te faire mal. »
« Je suis déçu que tu m’aies menti. »
« Tu as cassé l’assiette, donc je suis en colère. »
« Je suis énervé et fatigué ce soir, fais attention car je risque de me mettre rapidement en colère. » - Exprimez aussi (et surtout !) vos émotions positives :
« Je suis fier de toi, ton dessin est super beau.»
« J’aime te voir jouer comme ça. »
« Je suis content d’avoir fait cette balade avec toi. » - Exprimez vos erreurs !
« Je suis désolé pour tout à l’heure, je me suis énervé trop fort et j’ai dit des choses que je regrette. » - Parlez à la première personne, parlez de vous !
Un bon début est d’utiliser la première personne, parler de soi et pas de l’autre :
TU>> JE
JE + EMOTION + SITUATION CONCRETE - Par exemple vous pouvez dire : « Je suis super contente que tu aies fait ton sac sans que je te le demande »
- Mettez des mots et validez les émotions :
« Eh oui, ça rend triste quand …. »
« Tu as le droit d’être en colère par rapport à…»
À éviter :
- Évitez de généraliser les émotions négatives :
« Tu me déçois. »
« Tout le temps, tu me pousses à bout. »
« Tu me fatigues. » - Bannissez certains mots de votre vocabulaire :
Toujours
Jamais
Systématiquement
Toujours pareil
« Tu es […] »
Quelques outils pour comprendre ses émotions et avoir des solutions pour les gérer
Volcan des émotions : Pour aider l’enfant à prendre conscience de ses émotions et des solutions qui s’offrent à lui pour éviter « l’explosion du volcan ».
La roue des émotions : Il a été démontré que plus nous sommes à même d’identifier facilement nos émotions, mieux nous sommes armés pour gérer la situation ! Cette roue permet d’aider enfants et adultes à prendre conscience de ce qu’ils ressentent (météo intérieure, sensations physiques…), à mettre des mots sur les émotions qui y correspondent et à exprimer leurs besoins.
2. Évitez l’escalade réciproque : n’ajoutez pas d’huile sur le feu !
Ce phénomène est assez classique lors d’une dispute ou d’un désaccord. Il s’agit d’un tour de rôle où chacun des participants renchérit avec une remarque plus importante… Le désaccord initial devient une sorte de « match », que personne ne veut/peut stopper.
Comment repérer lorsqu’on est dans un processus d’escalade ?
- Notre colère augmente progressivement,
- on veut avoir le dernier mot,
- l’enfant nous répond et sa colère augmente également,
- on a envie de punir fortement l’enfant,
- on se dit des choses comme: « Pour qui il se prend ?! », « Ce n’est pas lui qui commande » ou encore « Je ne lâcherai pas ».
Pourquoi l’escalade n’entraîne rien de bon ?
Souvent, en tant qu’adulte, on veut avoir le dernier mot. On risque alors d’augmenter la colère, de rentrer dans un cercle vicieux et d’avoir des propos blessants. On arrive facilement aux généralisations du type « Avec toi, c’est toujours pareil ». Résultat, alors que l’origine du conflit était simple, on en ressort blessé… On risque également d’en arriver à mettre des punitions ou des contraintes disproportionnées :
Ah, on est des mauvais parents ?! Ok, eh bien, tu es privé d’écrans pendant un mois et on n’invitera pas tes copains pour ton anniversaire pour que tu voies ce que c’est des parents pas sympas !
Comment éviter cette escalade réciproque ?
Une fois qu’on l’a repérée, l’objectif est d’essayer de stopper le processus.
Vous pouvez essayer de dire une phrase du type : « Nous sommes en train de trop nous mettre en colère et je n’aime pas ça. Je ne veux plus en parler. Il y aura des conséquences auxquelles je vais réfléchir. »
Sortez de la pièce et isolez-vous : l’enfant risque d’essayer de continuer à vous provoquer, ne cédez pas !
Dans cette situation, le silence parental est plus puissant que des remarques ou des punitions.
3. Anticipez ! Si, à chaque fois, cela finit pareil… Observez, notez et anticipez pour éviter !
Lorsque nous analysons une crise de colère ou une peur a posteriori, on se rend parfois compte qu’il aurait été possible de l’anticiper. Autrement dit, au vu du contexte, il était à peu près sûr que cela ne pouvait pas bien se passer !
Si vous vous dites » Je savais que, de toute façon, ça allait mal finir », cela veut dire que la circonstance contribue à créer la tension et que vous pouvez intervenir avant pour réduire la tension et éviter ainsi le déclenchement de la crise.
En sachant cela, on va pouvoir essayer d’anticiper la crise et donc de modifier les choses pour que cela se passe mieux.
Évidement, il est impossible de tout anticiper, tout le temps… Nous sommes humains !
Dans le cas de situations récurrentes
Lorsque certaines crises se répètent, on sait parfois à l’avance que la situation va mener a une crise ! L’objectif est d’agir avant le début de la crise.
Exemple d’anticipations possibles :
Mes enfants se disputent quasi à chaque fois au bout de 30 minutes de jeu en commun…
Une option ici serait, par anticipation, que l’adulte sépare volontairement les enfants au bout de 15 minutes, alors que les enfants jouent tranquillement. Vous éviterez la crise qui aurait fort probablement éclaté 15 minutes plus tard…
Ma fille s’énerve systématiquement quand elle fait des dessins les soirs d’école, car ils ne ressemblent jamais à ce qu’elle souhaite. Par contre, le week-end et les mercredis, c’est son activité favorite et cela se passe très bien.
Dans ce cas, on peut décider de ranger les activités créatives hors de la vue de l’enfant les jours d’école et de les sortir les autres jours.
Dans le cas de l’anticipation « à chaque instant »
Ici, il s’agit de repérer, dans une situation présente, les risques de crises et tenter de les anticiper.
On rentre de l’école et on avait l’intention de demander à son enfant de faire un grand rangement de ses armoires… Or, vous êtes fatigué, votre enfant est fatigué et malade. Il vient d’avoir 2 mauvaises notes et il s’est disputé avec son meilleur copain, il a faim, il a cassé un jeu dans la cour de récré…
Dans ce cas, le risque de refus et de crise est majeur. Peut être vaut-il mieux décaler notre demande a un autre jour….
Il est évidement impossible d’anticiper tout le temps, mais grâce aux idées ci-dessus, certaines crises de colère pourront être évitées.
Quelques outils pour aider à l’anticipation
Time Timer de poche : Très simple d’utilisation, il suffit de tourner le disque rouge jusqu’à l’intervalle de temps désiré. La partie visible du disque rouge diminue au fur et à mesure que le temps s’écoule jusqu’à disparaître complètement. Un bip sonore prévient alors que le temps imparti est à présent écoulé. Grâce à l’interrupteur à l’arrière, vous avez la possibilité de l’utiliser en mode sans sonnerie également.
Ma petite routine : Rythmez la journée de votre enfant avec une routine du matin et du soir et aidez-le à se repérer dans sa journée. Grâce aux lignes « fait » et « à faire », il peut facilement identifier où il en est. Très complet, ce tableau vous permet aussi d’introduire des notions de temps (matin, soir, date). Un encart et des aimants spécifiques sont prévus pour aborder les émotions le matin et le soir. Un espace « mes encouragements » permet d’encourager dans l’apprentissage en valorisant les réussites.
4. Mettez des mots après les crises de colère
Lors des crises de colère, le Dr Henry conseille le silence comme première réaction. Il s’agit ici de prendre le temps de réfléchir avant de réagir et mettre en place des choses pour que cela change. L’objectif est de faire comprendre à l’enfant que les crises ne nous font pas peur et maintenir notre autorité en démontrant qu’elles n’auront pas d’impact particulier, elles ne nous feront pas plier.
2 exemples :
OK…Je suis très en colère que tu aies fais cela. Nous allons arrêter d’en parler car nous sommes en train de trop nous disputer. Je vais réfléchir et nous en rediscuterons plus tard.
Ici, l’idée est de battre le fer quand il est froid.
OK, ça fait 5 fois que je te demande. Maintenant, je vais éteindre ta console de moi-même tout de suite, et tu vas sûrement faire une crise, je t’y autorise.
Là, l’idée est de prescrire les crises de colère.
Conclusion
Être parents, ce n’est pas simple ! Nous avons partagé avec vous quelques idées qui ne seront pas forcément totalement adaptées à vos enfants, ni faciles à mettre en place, mais les années d’expérience du Dr Vincent Henry permettent de dire qu’elles ont déjà aidé de nombreuses familles.
Vous, parents, êtes ceux qui connaissez le mieux vos enfants. Faites-vous confiance !
C’est NORMAL :
- qu’il y ait des crises de colère,
- d’avoir l’impression de ne pas y arriver, d’échouer,
- d’avancer, de reculer et de recommencer !
Une petite piqûre de rappel pour conclure :
Les « Non » qui se transforment en « Oui » entrainent des tsunamis
Emmanuelle PIQUET , thérapeute française
Le replay de la conférence
Avez-vous déjà essayé ces techniques ? Qu’est-ce qui fonctionne pour vous ? Dans quelles situations les crises de colère arrivent elles ? Dites-nous en commentaires !
L’intervenant
Vincent Henry est médecin pédopsychiatre au CHU de Montpellier. Au cours de son parcours, il s’est formé aux thérapies cognitivo-comportementales, aux thérapies systémiques et à l’hypnose médicale. Il accompagne depuis plus de 10 ans les enfants et leurs familles dans la prise en charge des troubles du neurodéveloppement et des troubles émotionnels.
Il est co-auteur du livre « 100 idées pour accompagner les émotions des enfants et des adolescents » aux éditions Tom Pousse avec Christelle Vernhet.
Vous pouvez suivre ses conférences et découvrir ses ressources sur son site. Pour plus d’infos et inscriptions pour ses prochaines coférences : www.enfance-emotion.fr/conferences-et-ateliers
Publié le 7 juin 2022 mis à jour le 19 juillet 2023.