À l’occasion de la Journée mondiale de sensibilisation à l’autisme, nous avons souhaité prendre des nouvelles de Tristan Yvon, autiste Asperger et président de l’association Add’autiste depuis 2016. Nous l’avions rencontré aux Rencontres Internationales de l’Autisme à Ajaccio, en avril 2019. Dans cet article, découvrez son parcours, ses conseils et son avis pour améliorer l’inclusion des personnes en situation de handicap.
De quels troubles êtes-vous porteur ?
J’ai un diagnostic de « Syndrome d’Asperger », une sous-catégorie de l’autisme encore très fréquemment utilisée dans le vocabulaire courant, mais qui a été fondue dans les TSA par les dernières classifications.
J’ai la chance d’avoir un profil très fonctionnel et beaucoup de recul sur mes particularités, ce qui m’aide à les surmonter (même si ce n’est pas toujours simple). Au-delà de mes quelques hypersensibilités sensorielles, le plus compliqué pour moi est la gestion des imprévus avec mon ascenseur émotionnel qui peut décoller très vite quand je n’ai pas anticipé une éventualité contraignante qui me tombe dessus, mon mauvais décodage des émotions des autres et de l’implicite, et bien sûr ma fatigabilité accrue qui est souvent en décalage avec mon rythme de vie un peu en surrégime. Ma très grande aisance à l’oral, mon naturel assez jovial et ma capacité à anticiper la plupart des imprévus sont un atout, car mes difficultés passent souvent inaperçues, mais ça peut devenir un défaut, car mes pairs oublient rapidement mes difficultés.
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Faites-vous partie d’une association ?
J’ai cofondé l’association Add’autiste à la fin de mon adolescence pour proposer des actions de sensibilisation dans les écoles. Le handicap est toujours aussi mal appréhendé en milieu scolaire et l’autisme aussi méconnu. Les enfants d’aujourd’hui rencontrent souvent les mêmes difficultés que moi il y a 10 ou 15 ans. Avec mon recul et mon humour j’essaye d’expliquer ce qu’est l’autisme aux jeunes, et comment ils peuvent participer à l’inclusion de leur(s) camarade(s) via un peu de vigilance, des petits efforts et de la bienveillance. Et ça fonctionne !
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Comment avez-vous appris que vous étiez porteur d’un TSA ?
Mon frère et ma sœur, 5 ans plus jeunes que moi, ont manifesté très tôt tous les symptômes de l’autisme dit sévère. Après un parcours un peu laborieux, ils ont été tous les deux diagnostiqués Autiste Kanner (une autre sous-classification aujourd’hui disparue). Dans le même temps je rencontrais des difficultés à l’école tant au niveau scolaire que social. La rencontre avec des professionnels, des familles et des personnes Asperger a permis à mes parents de comprendre mes difficultés. J’ai été diagnostiqué à mon tour à mes 9 ans.
Comment avez-vous réagi ? Puis agi ?
Au départ très mal, je refusais qu’on amalgame mes difficultés avec le handicap très lourd de mon frère et ma sœur. C’est pour ça qu’aujourd’hui j’ai encore tendance à me revendiquer « Asperger » plutôt qu’« Autiste ». Mes premiers accompagnements et groupes d’habiletés sociales ont été très difficiles à vivre, mais ils m’ont permis progressivement de me socialiser avec d’autres jeunes concernés et de beaucoup progresser au niveau social.
Quel est votre parcours scolaire ?
Mon parcours scolaire a été un parcours du combattant jusqu’au lycée. J’ai eu des difficultés scolaires dès la fin de la maternelle qui se sont accentuées en primaire, j’étais totalement incompris par mes enseignants, car sans aucun diagnostic. J’ai beaucoup entendu « tu es paresseux », « tu as un poil dans la main » … Sensoriellement, survivre 8 h par jour au milieu de dizaines d’autres enfants était exténuant et inefficace, ce qui m’obligeait à reprendre chaque soir le contenu de la journée avec mes parents. Mon diagnostic en CM1 a permis d’apporter des réponses, mais pas de réelles solutions avant la 3e, où totalement épuisé par le rythme du collège, j’ai été partiellement déscolarisé pour suivre trois matières en cours particuliers. Cet aménagement a diminué considérablement ma charge de travail et a sauvé ma scolarité.
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Et en ce qui concerne les relations sociales avec vos camarades ?
Au niveau social, j’ai subi un harcèlement chronique durant mes années au primaire et au collège sans être réellement défendu par les adultes. Deux de mes enseignantes ont même encouragé mes harceleurs, et expliqué à mes parents que c’était ma faute si je n’avais pas su me socialiser… Avec le recul, je me demande comment j’ai tenu, mes premiers intervenants m’imaginaient mal passer le cap du collège. Je suis donc très fier de mon bac technologique et de mon BTS Aménagement paysagers avec mention, que je dois en grande partie à deux lycées bienveillants dont les professeurs et camarades ont su s’adapter. Le dénouement est positif, mais qu’est-ce que j’en ai bavé !
Aujourd’hui, que diriez-vous à un adolescent découvrant son handicap ?
Il m’arrive régulièrement de rencontrer des « mini Tristan ». Dans ma tête, je me dis toujours « Accroche-toi mon vieux, tu vas en baver », mais malgré tout j’essaye d’être rassurant en leur expliquant que malgré nos difficultés on peut s’en sortir. Je sers souvent d’exemple. Si le jeune est harcelé, je lui explique que ce n’est pas lui le problème et lui donne des pistes pour s’en sortir. Lorsque je travaille avec des enfants, je repère rapidement les profils atypiques et je fais beaucoup de médiation avec leurs camarades.
Quels impacts l’autisme a-t-il sur votre vie familiale et professionnelle ?
Au niveau familial, je suis grand frère de deux jeunes adultes qui sont loin de l’autonomie totale et dont il faudra que je m’occupe plus tard.
Au niveau professionnel, j’ai un quotidien bien chargé entre paysagiste en libéral, animateur d’ateliers ludo-pédagogiques auprès de personnes TSA et occasionnellement animateur auprès d’enfants neurotypiques. Mon recul sur mes difficultés me permet de mieux comprendre et de m’adapter aux personnes TSA auprès de qui j’interviens. Je discute beaucoup avec leurs éducateurs, leur donne mon point de vue, des conseils et astuces… Et je ne me laisse pas impressionner, même en cas de troubles du comportement, j’en ai vu d’autres…
Qu’appréciez-vous dans votre travail ?
Travailler avec des enfants neurotypiques me permet de m’évader hors du handicap, j’ai soudainement l’impression que tout devient simple. Mon expérience me donne une sensibilité particulière avec les enfants un peu différents, je gagne facilement leur confiance et prends le temps de les guider au niveau social. Les enfants finissent par se battre pour m’avoir comme animateur. Dans tous les cas, j’ai du mal à gérer la désorganisation de certains collègues neurotypiques et les imprévus qui en découlent. Comme je décode mal leurs émotions, j’ai du mal à m’arrêter quand je les saoule ou quand je les énerve, il y a donc régulièrement des malentendus.
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Qu’est-ce qui selon vous pourrait améliorer significativement la vie et l’inclusion des personnes en situation de handicap ?
Dans le champ de l’autisme, le levier primordial serait une réforme totale des formations initiales de tous les professionnels, pour les mettre au gout du jour. C’est insupportable de voir encore des formations véhiculer des croyances obsolètes. Au niveau global, je rêve d’une vraie démarche d’inclusion. Que tous les enfants aient l’occasion de passer du temps avec des pairs porteurs de handicap et que l’emploi des personnes handicapées soit plus encouragé, y compris au niveau fiscal. Il est temps de déconfiner les personnes handicapées.
Le mot de la fin…
J’espère que viendra rapidement le jour où je pourrais raconter mes expériences à des jeunes sans lire de la compatissance dans leurs yeux et où j’arrêterai de croiser des parents épuisés, inquiets pour l’avenir de leurs enfants. Au niveau sociétal, tout reste à faire, j’ai de quoi ne pas m’ennuyer.