Depuis plus de 30 ans, la communauté scientifique internationale reconnaît l’autisme comme un trouble neurologique entrainant un handicap dans l’interaction sociale. Tous les enfants porteurs de troubles de l’autisme présentent une anomalie dans une zone du cerveau, le scion temporal supérieur, identifié en 2000 par le Dr Monica Zilbovicius. Pourquoi en France, l’autisme est-il toujours considéré comme un trouble lié à la mère ?
L’autisme et la psychanalytique
Durant de longues années, l’autisme a été considéré comme un trouble affectif, et non comme un trouble neurologique, que les psychanalystes essayaient de soigner. La cause ? Les enfants seraient victimes de leurs mères. Cet autisme, ils l’ont « choisi » comme pour se retirer d’un monde bien trop dur pour eux. Pour les psychanalystes, l’autisme est une psychose, un trouble psychique majeur.
Bruno Bettelheim, psychanalyste austro-américain, a été le précurseur du « traitement » psychanalytique de l’autisme. Raisonnant par analogie vis-à-vis de son expérience dans les camps de concentration, il était convaincu que les enfants autistes étaient victimes de parents tortionnaires, de mères glaciales qui ne voulaient du mal à leurs enfants. Ses travaux ont été bannis aux Etats-Unis depuis plus de trente ans.
Sophie Robert, réalisatrice du documentaire « Le Mur, la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme » :
Mère trop froide, mère trop chaude, mère trop bonne ou pas assez, mère mortifère, mère frigidaire, mère fusionnante, mère toxique par nature…
La France, dominée par la psychanalytique lacanienne, ignore les découvertes sur l’autisme. À ce jour, de nombreux médecins, pédiatres, psychiatres, enseignants en psychologie, chef de service en CHU, travailleurs sociaux, experts dans les tribunaux se basent encore sur les théories psychanalytiques qui sont pourtant aujourd’hui décriées et désapprouvées par la communauté scientifique internationale.
Pourtant, en 2012, la Haute Autorité de Santé émet des recommandations sur la prise en charge de l’autisme qui placent la psychanalyse et la psychothérapie institutionnelle au rang des thérapies non recommandées et non-consensuelles.
>> À voir : Le documentaire « Le Mur, la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme »
L’autisme à l’ère des sciences cognitives et des neurosiences
Pour Kanner, l’autisme est un trouble inné dont les parents ne peuvent être jugés responsables. La psychanalyse récupérera des dires qu’il récusera plus tard, où il notait que les parents considéraient leurs enfants « comme des sortes de cobayes », que l’on garderait « dans des réfrigérateurs qui ne décongèlent jamais ».
Asperger est également convaincu d’une origine organique et héréditaire du trouble.
Durant les premières années de description et de classification de l’autisme, il était considéré comme un trouble qui n’affectait que peu de personne, avec des mêmes caractéristiques notamment d’important retards dans l’acquisition du langage, dans les capacités cognitives, et dans la sociabilité.
C’est dans les années 80 qu’est introduit le terme de spectre de l’autisme, qui démontre qu’il y a autant d’autismes différents que de personnes atteintes d’autisme. Et c’est dans ces mêmes années que la psychanalyse amorce son déclin, poussée vers la sortie par l’émergence des neurosciences, par la validation des thérapies cognitivo-comportementales et par les polémiques outre-atlantique suites aux parutions de nombreux ouvrages invalidant historiquement et scientifiquement l’acquis freudien, désormais désuet.
Depuis plus de 30 ans, la communauté scientifique internationale reconnaît l’autisme comme un trouble neurologique entrainant un handicap dans l’interaction sociale. Tous les enfants porteurs de troubles de l’autisme présentent une anomalie dans une zone du cerveau, le scion temporal supérieur, identifié en 2000 par le Dr Monica Zilbovicius.
En 2004, le Conseil de l’Europe a condamné la France pour ne pas s’être acquittée de son obligation de fournir aux enfants autistes une prise en charge appropriée.
Pourquoi l’autisme est-il encore vu comme un problème relationnel entre la mère et l’enfant ?
Les années de psychanalytiques laissent des traces, notamment dans les amphithéâtres des Universités où est enseignée la psychologie clinique.
Dans les années 80, la totalité des psychiatres et psychologues français étaient formés à la psychanalyse. Cette tendance est un déclin depuis les années 90, bien qu’ils soient encore 80% aujourd’hui. Une situation unique au monde avec l’Argentine, qui a de lourdes conséquences sur la prise en charge de l’autisme.
Dans certains cours encore, on peut entendre qu’un enfant peut devenir autiste s’il n’a pas été bien porté par sa mère, si sa tête n’a pas été bien soutenue (…). Certains étudiants en psychologie refusent d’assister aux cours où sont abordés les neurosciences jugées «scientistes», «totalitaires» ou «réductionnistes».
Il va de soi que les conceptions psychanalytiques de l’autisme ne sont pas conformes aux données de la science moderne. Ces données contemporaines ont amené les scientifiques à définir l’autisme comme un trouble neurobiologique ayant un fondement génétique. Affirmer encore, à notre époque, que l’autisme est une forme de psychose infantile est non seulement de la désinformation, mais constitue une grave erreur scientifique.
Que faire pour y remédier ?
Les médecins généralistes et les pédiatres sont en première ligne pour le diagnostic de l’autisme. Ce sont eux qui doivent rediriger vers les professionnels adaptés afin de poser un diagnostic. Malheureusement, les médecins généralistes et les pédiatres ne bénéficient que de deux heures de formations sur le sujet dans leur cursus, et sont peu formés à la détection des signes de l’autisme. Encore très prégnantes dans notre système hospitalier et dans les structures publiques , les théories psychanalytiques ont créé des réflexes conditionnés chez la plupart des praticiens, mais aussi chez les médecins, les pédiatres, les travailleurs sociaux.
Alors, quelles sont les initiatives qui permettent ou vont permettre d’offrir un meilleur diagnostic à l’enfant ?
S’informer sur les recommandations de bonne pratique de la Haute Autorité de Santé (HAS)
Une fiche de synthèse destinée aux professionnels de 1re ligne est éditée par la Haute Autorité de Santé afin de guider le médecin dans l’identification et le repérage des signes de développement de l’enfant. Depuis février 2019, ils ont désormais la possibilité de réaliser une consultation dédiée, remboursée 60 euros, pour favoriser le repérage en cas de suspicion de TSA.
>> Trouble du spectre de l’autisme : Des signes d’alerte à la consultation dédiée en soins primaires
Suivre les recommandation de l’Agence Régionale de la Santé (ARS)
L’ARS de Corse et le centre ressources autisme Corsica lancent une campagne de communication autour de la reconnaissance précoce des troubles du spectre autistique et de l’organisation régionale existante en la matière avec des flyers à l’attention des médecins généralistes et pédiatres faisant un rappel sur ce que sont les TSA, leurs manifestations et mettant à disposition un outil de 1er évaluation, le M-Chat®.
Ils réalisent également des soirées de sensibilisation à destination des professionnels de santé libéraux (médecins généralistes, pédiatres…) visant à présenter les TSA, leur repérage, les outils de diagnostics de 1er niveau de repérage avant orientation auprès d’une équipe diagnostic autisme de proximité (EDAP) ou du CRA Corsica.
>> À télécharger sur le site de l’ARS : Autisme, repérons les signes au plus tôt
Vous êtes un professionnel de santé formé à l’autisme et aux troubles neuro-développementaux (TND) ? Racontez-nous votre parcours en commentaire, nous vous contacterons pour réaliser un témoignage sur la formation que vous avez reçu et en quoi elle vous aide dans vos pratiques au quotidien.
Sources :
Autisme de l’enfant – Rester en alerte pour dépister au plus tôt, webzine de l’HAS, le 12 février 2019
Recommandation de bonne pratique TSA, HAS
Troubles du spectre autistique, Organisation Mondiale de la Santé
L’autisme, un trouble du neurodéveloppement affectant les relations interpersonnelles, Catherine Barthélemy INSERM
Autisme : pourquoi les psychanalystes ont perdu, L’Obs, le 14 février 2012
Autisme: «l’efficacité» de la psychanalyse reste à prouver estime la Haute autorité de santé, Médiapart, le 8 mars 2012
Bonjour,
Merci pour vos excellents articles. Je suis profondément choquée que les médecins eux-même en sachent tellement peu sur l’autisme. Que dire alors du reste de la population … C’est consternant.
Sarah