En 2018, lors du salon Autonomic de Lille, les jeux et outils de Hop’Toys étaient dignement représentés par la ludothèque l’Arche aux jouets. Ce service de l’association Les Papillons Blancs de Roubaix proposait en effet de faire découvrir certaines nouveautés du catalogue et ses jouets incontournables. Récemment, nous avons pris des nouvelles de la ludothèque grâce à Séverine Zeraoulia. On vous invite donc à (re)découvrir cette ludothèque « ouverte à tous » et ses évolutions depuis 4 ans.
Séverine, pouvez-vous nous présenter la ludothèque L’Arche aux jouets, où vous travaillez depuis près de 20 ans ?
Une ludothèque, c’est un équipement culturel, un espace de loisirs, de rencontre, de partage et d’échange intergénérationnel autour du jeu. C’est un lieu-ressource qui a pour mission de « donner à jouer ». L’originalité de la ludothèque l’Arche aux jouets (créée en 1996), c’est qu’elle exprime clairement son souhait de favoriser l’accueil de tout enfant porteur de handicap (de sa famille et des établissements et services qui l’accompagnent). Les parents en situation de déficience intellectuelle sont aussi les bienvenus avec leurs enfants. Le principal projet de la ludothèque est d’être « handi-accueillante ».
Notre ludothèque est portée par l’association des Papillons Blancs, mouvement familial de parents et amis, avec et pour les personnes en situation de handicap mental, qui œuvre pour la défense et la protection de leurs droits. L’Arche aux jouets se trouve à Roubaix, dans un quartier défavorisé. Elle accueille toujours tout le monde en même temps : des parents avec leurs enfants, des assistantes maternelles, des travailleuses familiales, des éducateurs spécialisés de jeunes enfants, des orthophonistes, des ergothérapeutes… des professionnels de la santé. Certains viennent même faire leur séance à la ludothèque car cela les sort de leur contexte de rééducation et qu’ils peuvent bénéficier là d’autres supports.
Chacun peut venir librement pour 1h de jeu par semaine. Nous accueillons aussi des groupes. Une attention particulière est portée aux enfants porteurs de troubles autistiques, qui sont accueillis séparément un jour de la semaine afin de s’assurer qu’ils aient le calme dont ils ont besoin.
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Proposez-vous l’accueil des professionnels de la petite enfance ?
Tout au long de l’année, plusieurs sections de multi-accueil fréquentent la ludothèque, ainsi que de nombreuses classes passerelles et assistantes maternelles.
Les éducatrices de jeunes enfants des classes passerelles viennent avec pour :
- faire connaitre le lieu aux parents.
- que les parents se familiarisent avec le personnel de la ludothèque, pour s’autoriser plus tard à venir seul sur d’autres temps.
- offrir un temps de jeux parents/enfants programmé. Les parents, comme c’est dans le cadre de l’école, s’autorisent c16e temps de pause ludique.
- avoir un temps privilégié de parole avec les familles en partant d’observation de jeu.
Les professionnels de multi-accueil viennent avec un très petit groupe d’enfants, cela leur permet:
- une prise en charge privilégiée.
- aux enfants accueillis de jouer avec des enfants en situation de handicap.
- d’offrir d’autres situations de jeu.
Les éducatrices de jeunes enfants d’une pouponnière viennent à la ludothèque pour offrir aux enfants des jeux différents, des jeux qui les éveillent. Elles viennent également offrir d’autres compagnons de jeux aux enfants placés.
Les assistantes maternelles sont nombreuses à fréquenter la ludothèque. Elles offrent ainsi un lieu de socialisation, un espace de jeux éveillant les enfants qu’elles accompagnent. Certaines louent aussi des jeux pour varier les plaisirs.
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Un espace réfléchi pour assurer une sécurité affective
La ludothèque dispose d’une salle de motricité, de peinture, d’un patio pour les jeux d’extérieur et d’une salle multisensorielle. L’espace est très réfléchi pour permettre à l’enfant d’être en autonomie, quel que soit son handicap, et qu’il se sente en sécurité. En effet, l’espace est pensé pour que, quel soit l’endroit où il se trouve, l’enfant puisse voir un adulte de référence… Plus l’enfant est dans un environnement « sécure », plus son esprit est disponible pour expérimenter et jouer.
Il y a également une grande réflexion sur le choix des jeux. La ludothèque possède 3000 jeux, mais nous n’en mettons qu’une cinquantaine sur place. Les jeux choisis changent toutes les 6 semaines. Notre travail est, pendant ces 6 semaines, d’observer les enfants jouer, d’observer les parents, de répondre à la demande des éducateurs et de réévaluer notre choix de jeux.
Depuis quelques temps également, suite à une formation Montessori, les enfants peuvent trouver sur une étagère des plateaux d’activités de manipulation. Ces plateaux s’utilisent avec la méthode Montessori. L’enfant choisit un plateau, y utilise le matériel, remet sur l’étagère son matériel et nettoie si besoin. Les parents et les enfants apprécient.
L’autre espace qui a été modifié est le coin de jeux d’éveil sensoriels. De nouveaux tapis ont trouvé leur place. C’était un de nos souhaits depuis longtemps. Ceux que nous avons choisi sont plus durs, ce qui permet aux enfants de mieux sentir leurs appuis. Cette réflexion a mûri avec l’aide d’une psychomotricienne.
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Justement, comment s’effectue le choix des jeux ?
Comme nous sommes une ludothèque spécialisée, il est essentiel pour nous de pouvoir proposer un jeu, faisant appel à diverses compétences pour qu’il soit au mieux adapté à la personne.
Par exemple, si l’on prend les boîte à formes, nous en proposons avec des effets sonores, d’autres avec des effets tactiles pour les enfants qui ont besoin d’une sonorité ou autre pour s’intéresser au jeu. Nous en avons aussi d’autres avec des difficultés graduelles pour les enfants dont les capacités se développent, des boites à formes en bois, en plastique, en tissu selon les sensibilités tactiles de chacun, des boites à formes qui tournent pour les enfants aux traits autistiques ou certaines avec des effets magnétiques. Aussi, des boites où les pièces sont attachées pour permettre aux enfants qui maitrisent moins bien leurs gestes de ne pas perdre la pièce…
Ainsi, nous pouvons proposer la boite à formes adaptée aux capacités de l’enfant et qui lui procurera le plus de plaisir. Cette multitude permet aussi de globaliser pour l’enfant. C’est-à-dire que nous savons si l’enfant a compris le principe, quand il sait en faire de plusieurs types. Et c’est ainsi pour tous les jeux.
De ce fait notre choix de jeux se centre sur le petit plus qu’apporte chaque jeu pour compléter notre collection.
Pas de jeux spécifiques… ou alors pour tous !
Nous pensons que la question « Faut-il privilégier les jeux et jouets spécialisés ? » n’a pas lieu d’être car il n’est pas question de jeux spécifiques pour des enfants spéciaux. Il est question de jeux bien choisis. Il est très valorisant pour les parents d’acheter des jouets tout public car c’est une stigmatisation de moins.
Si nous proposons des jeux spécialisés, nous les mettons à disposition de tous les enfants de la ludothèque. C’est un facteur d’intégration supplémentaire. Même si leur achat est pensé pour convenir aux personnes en situation de handicap, ils conviendront à n’importe quel enfant. L’adaptation des jeux n’est vraiment nécessaire que pour le polyhandicap ou le handicap visuel.
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La méthode ESAR
Pour bien faire notre choix de jeu, nous sommes formées à la méthode ESAR. Le système ESAR, conçu par Denise Garon, permet l’analyse psychologique, la classification et l’organisation des jeux et des jouets. S’appuyant sur la psychologie et les techniques documentaires, la classification ESAR permet de décrire chaque objet ludique en fonction des compétences qu’il requiert. Il s’agit de porter un regard critique sur ces objets ou d’observer le jeu à partir des habilités et des compétences de l’enfant, de l’adolescent et de l’adulte. Le système ESAR est un outil de recherche scientifique inspiré, entre autres, des travaux de Piaget. Ce modèle présente les étapes chronologiques du développement de l’enfant organisées en six grandes facettes : les types de jeux, les habilités cognitives, les habilités fonctionnelles, les types d’activités sociales, les habilités langagières et les conduites affectives.
Le plaisir du jeu avant tout
À l’Arche aux jouets, nous veillons à ne pas perdre de vue le rôle du ludothécaire. Nous tenons à rester sur la notion de plaisir. Les éducateurs et les parents voient dans le jeu un outil pour progresser. Les jeunes porteurs de handicap se voient déjà proposer beaucoup de jeux thérapeutiques. À la ludothèque, on doit veiller aux notions de plaisir et de détente, afin d’offrir le jeu pour le jeu. Lorsque nous constatons qu’un enfant est bien avec un jouet, nous lui gardons afin qu’il ait le plaisir de le retrouver chaque semaine et dispose de tout le temps nécessaire pour l’explorer séance après séance. En outre, on essaie de coller exactement au développement et au profil sensoriel de l’enfant pour atteindre l’objectif de plaisir avec l’effet induit d’apprentissage.
On s’adapte, on s’adopte
Quand on accueille une personne porteuse de handicap, les échanges avec le parent ou l’équipe professionnelle qui l’accompagnent sont très importants. Dans le cadre de l’accueil des enfants en groupe, on travaille en amont avec leur éducateur, afin de connaître les préalables et les précautions à prendre pour rendre ce moment le plus confortable et bénéfique possible. Nous allons accueillir l’enfant pendant toute une année avec un projet spécifique.
Quand un groupe vient avec des enfants que nous ne connaissons pas déjà, on s’adopte, on s’adapte les uns aux autres pendant 2 ou 3 mois au cours desquels on va jouer ensemble. Nous pouvons suivre les enfants porteurs de troubles autistiques et les enfants en inclusion scolaire pendant 5 ou 6 ans. En effet, avec ces enfants, un apprentissage de comportement (apprendre à jouer assis, apprendre à jouer à tour de rôle, se souvenir de règle de vie…), une expérience sociale va aussi pouvoir se faire à la ludothèque.
Qu’est-ce qu’un bon jeu pour vous ?
Tous les jeux sont bons, mais ils ne sont pas tous accessible selon les capacités des uns et des autres. Il s’agit donc de choisir le jeu idéal pour un joueur au moment où il est présent. Pour un jeu d’éveil sensoriel, j’aime quand il est le plus simple possible et qu’il ne stimule qu’un sens. Je porte aussi une attention à son esthétisme, j’apprécie quand il n’est pas connoté « petite enfance ». Pour les jeux symboliques, je recherche ce qui, implicitement, demande de la relation. Le jeu du marchand de pizza, par exemple, car cela suppose un vendeur et un gourmand, et le fait qu’il y ait des recettes facilite le jeu des adultes qui ne sont pas très à l’aise. Pour les jeux de règle, ce qui m’intéresse, c’est que les parties soient de courte durée, que les règles soient simples, que le design soit le plus sobre possible.
Le jeu gomme la différence
Quand j’accueille un groupe d’enfants, je m’organise systématiquement pour avoir en même temps d’autres groupes, avec des enfants porteurs de handicap ou non. Je n’accueille jamais d’enfants porteurs de handicap tous seuls. Je ne me focalise que sur le plaisir de l’enfant et sur mon objectif, qui est de gommer la différence entre les enfants pour que l’enfant reste juste ce qu’il est : un enfant. Et que chacun joue avec chacun. Avant l’âge de 6 ans, il n’y a aucun problème. Après, il peut y avoir une réticence au début, mais qui disparaît très vite. Nous avons à la ludothèque des poupées en fauteuil roulant : tout le monde y joue ! Les enfants se fichent de savoir qu’une poupée est « handicapée » ou pas handicapée. Et ils se fichent que l’un d’entre eux soit plus lent, ils vont juste, par exemple, tourner la carte de l’autre pour l’aider !
Article publié le 26 avril 2018. Mis à jour le 16 juin 2022.
Séverine Zeraoulia est éducatrice de jeunes enfants de formation. Elle travaille depuis 20 ans dans la ludothèque L’Arche aux jouets, 26h30 par semaine… et autant en tant que bénévole ! Car Séverine a la conviction que le média du jeu peut tout inventer, peut répondre à tout :
Du moment qu’il y a du plaisir, il y a apprentissage !