Alors que les classements PISA et Timss ne classent pas la France parmi les meilleurs pays de l’OCDE sur l’apprentissage des mathématiques, les élèves de Singapour arrivent régulièrement en tête de tous ces palmarès depuis plusieurs années. « Contrairement aux idées reçues, rappelle le chercheur et professeur de mathématiques Stéphane Seuret, l’allègement progressif des programmes n’est pas l’unique responsable de la baisse des connaissances en maths : on pourrait tout à fait connaître moins de notions, mais être très efficace malgré tout ». Alors pourquoi ?
Les mathématiques et la France
Sans même s’arrêter à ces indicateurs de performance, on peut légitimement s’interroger sur ce désamour des Français pour les mathématiques et surtout sur ce que l’on nomme désormais « l’impuissance apprise ». C’est cette capacité à se convaincre dès le plus jeune âge qu’on n’y arrivera pas. En l’occurrence, ici, qu’on est « nul en maths » ! Pourquoi, en effet, alors que tous les élèves commencent par adorer les mathématiques, ils finissent par être si nombreux à les détester ? Voire à en avoir peur. Une peur qui, bien sûr, freine l’apprentissage des maths, car on ne peut apprendre dans le stress.
C’est une matière qui génère beaucoup d’angoisse. On a dû mal à former nos enseignants, à recruter des enseignants motivés, ils ne sont pas assez payés.
Cédric Villani, chercheur mathématicien, médaillé Fields et député
Méthode de Singapour : redonner le goût des maths ?
Partout dans le monde, la méthode d’apprentissage des mathématiques adaptée de celle utilisée à Singapour gagne du terrain. 60 pays l’appliquent déjà. En France, en 2017, 120 000 élèves utilisaient cette méthode, un chiffre en augmentation de 50 % en un an ! Serait-ce là, la clé ? Appliquer la méthode de Singapour, ou pour le moins s’en inspirer, pourrait-il (re)donner le goût des maths à toute une génération d’élèves ? Leur insuffler, comme y appelle Monica Neagoy, docteure en didactique des mathématiques, qui a adapté la méthode en France, cette « joie et ce plaisir qui sont absents des mathématiques scolaires ». Pour la promotrice de la méthode de Singapour en France :
Il faut absolument faire aimer les maths, partager leur beauté, leur omniprésence dans la vie.
À partir de la très riche enquête réalisée par le magazine Le Point dans le cadre de son hors-série consacré à la méthode de Singapour, nous vous proposons une petite série d’articles pour vous permettre de découvrir cette méthode. Sur quelle approche, sur quels principes repose-t-elle ? Comment la mettre concrètement en pratique à l’école ou à la maison. Représente-t-elle un enseignement élitiste ou est-elle particulièrement indiquée pour des élèves ayant des troubles ou des difficultés et pour lesquels l’abstraction mathématique est d’autant plus délicate ?
Début de réponse ici avec une présentation de la méthode de Singapour… Avant de passer aux cas pratiques.
Méthode Singapour : petit historique… paradoxal
Conçue dans les années 1980, la méthode de Singapour est « une synthèse de tout ce qui fonctionne en didactique des maths » explique Jean Nemo, directeur de la Librairie des écoles, maison d’édition ayant l’exclusivité de l’adaptation de cette méthode en France. Fait historique intéressant : lorsque la cité-État de Singapour accède à l’indépendance en 1965, elle équipe ses écoles avec des manuels provenant de pays occidentaux. Mais, alors que ceux-ci, qui avaient mené de nombreuses recherches sur la pédagogie des mathématiques, n’ont pas mis les résultats de ces recherches en pratique dans leurs programmes, paradoxalement, Singapour l’a fait. Et s’est inspiré de Bruner (pour le passage du concret à l’abstrait), de Montessori (pour l’usage de matériel), de Polya (pour la résolution de problème) afin de bâtir une méthode consistant à rendre plus tangibles les mathématiques. Ainsi, cette méthode explicite amène les enfants à :
- Raisonner, construire le sens – et donc acquérir des connaissances plus profondément ancrées.
- Voir la présence des mathématiques dans leur vie.
- Aller progressivement vers l’abstraction.
>> À lire : On manipule, avec la méthode de Singapour…!
Les notions de base en profondeur et les 4 opérations dès le CP
Avec la méthode de Singapour, on aborde moins de notions, mais on les aborde en profondeur. À l’école, Singapour oblige à une progression un peu différente de celle habituellement appliquée. Au lieu de faire numération le lundi, résolution de problème le mardi… on travaille « à fond » une notion de base pendant plusieurs semaines. Et on est en mesure de faire des divisions en CP ! Pourquoi ? Comment ? En invitant les élèves à être acteurs, à manipuler des cubes pour trouver comment, par exemple, répartir équitablement 15 cubes dans 3 verres, on leur permet d’accéder au sens de la multiplication et de la division… Avant de leur apprendre à « bien poser une opération » pour trouver le « résultat juste ». On donne aux élèves les outils nécessaires pour raisonner de manière autonome, pour appuyer leur raisonnement. Cette pédagogie explicite permet de pointer, de montrer concrètement le résultat.
Objectif : construire du sens
Le ministère de l’Éducation de Singapour considère les mathématiques comme « le moyen de développer et d’améliorer les compétences intellectuelles d’un jeune adulte ». Monica Neagoy explique : « Il ne s’agit pas de mémoriser des formules », mais « d’apprendre à réfléchir et garder les mécanismes de pensée, les habitudes de raisonnement ». Selon la didacticienne, dans l’enseignement classique des maths, le passage à l’abstraction se fait trop rapidement, sans que l’enfant ait construit du sens. Avec Singapour, on apprend à raisonner avant de passer à la technique opératoire, à la procédure, à la formule, à l’écriture de symboles mathématiques. La méthode de Singapour permet aux enfants de réfléchir, de raisonner. Cette construction du sens est notamment rendue possible par un autre principe fondateur de cette pédagogie : la verbalisation.
>> À lire : Méthode de Singapour, l’avis d’une prof
Raconter des histoires de nombres
Car, avec Singapour, on raconte des histoires de nombres. La méthode invite à un dialogue. Celui de l’enseignant avec ses élèves (ce qui est finalement assez banal), mais aussi des élèves entre eux (la coopération, le travail en groupe ou en binôme sont encouragés) et de l’élève avec lui-même. On invite l’enfant à « mettre un haut-parleur » sur sa pensée, selon la formule de Monica Neagoy, à expliciter son raisonnement. Cela favorise la métacognition (comprendre une stratégie et son efficacité), un aspect fondamental de l’apprentissage. Mais pour verbaliser, il faut oser « avoir faux » rappelle encore Monica Neagoy, et donc se libérer de « la peur trop souvent associée aux mathématiques scolaires ». L’erreur est naturelle et fait partie du processus d’apprentissage. À Singapour, les enseignants sont encouragés à la valoriser.
Résoudre des problèmes pour parvenir au concept
Comme le met encore en lumière le magazine Le Point, cette culture de la parole et cette culture de l’erreur sont liées à ce qui est à la base de la méthode de Singapour : la résolution de problème. C’est en effet par elle qu’on va aborder toutes les notions. Elle va se traduire par une « modélisation en barres« . Il s’agit de représenter très simplement des situations d’un problème de type partie/tout, avant/après ou de comparaison. Cette schématisation en barres permet aux élèves de prendre conscience qu’un nombre est un tout composé de plusieurs parties (connue/inconnue ; avant/après). En découle naturellement la réciprocité de l’addition et de la soustraction que les élèves abordent de manière analogue.
Les étapes de réflexion : clé de voûte de la méthode de Singapour
À partir d’une situation concrète inspirée de la vie quotidienne, les élèves sont invités à raconter une histoire mathématique. Ils devront ensuite la traduire par une opération.
1er temps : « l’étape concrète »
Les élèves sont mis en situation de découverte d’une notion mathématique à travers la manipulation d’objets (cubes, jetons). À ce stade, on pourra s’appuyer sur les cubes Mathlink, les kits base 10, les tours de fractions ou les compteurs notamment.
2ème temps : « l’étape imagée »
Les objets sont remplacés par des images qui les symbolisent. C’est l’étape de la modélisation. Avec Singapour, elle s’appuie sur une représentation en barres.
3ème temps : « l’étape abstraite »
Celle-ci n’intervient que lorsque la notion est intégrée, comprise. Ainsi, en CP, le signe + et le signe – ne sont pas abordés au cours de la première période. Pour autant, les élèves auront fait des additions et des soustractions pendant ces 6 semaines.
>> À lire : À la découverte de la méthode Cuisenaire
Méthode Singapour : une méthode pour tous ?
Une méthode qui cultive à ce point les capacités cognitives des élèves est-elle une méthode élitiste ? Un des aspects tangibles les plus positifs de Singapour est que cette méthode porte en elle une progressivité dans la difficulté. Elle permet ainsi un apprentissage adapté à des élèves de niveaux différents. Les phases de manipulation et de modélisation vont valoriser les élèves ayant des difficultés, mais aussi ceux dont les troubles rendent problématiques le passage à l’abstraction. Ils prendront ainsi confiance en eux, tandis que les élèves avancés se verront proposer des défis.
Concrètement, les manuels proposent une série de très nombreux exercices à la difficulté progressive. En effet, la méthode repose également sur l’entraînement et la pratique répétée. Chaque séance reprend ainsi « 90 % de faits déjà connus, 10 % de nouveauté ». Un principe qui permet de conforter les élèves, de leur donner confiance tout en épanchant leur soif de découverte. L’idée est de leur permettre de ressentir ce « frisson cognitif » explique Jean Nemo de la Librairie des écoles.
Par ailleurs, quand les manuels classiques proposent des mises en page très chargées, passant parfois du coq à l’âne, la présentation des manuels de la méthode Singapour est volontairement épurée, ce qui les rend plus adaptés aux élèves ayant des troubles DYS. La manipulation, la modélisation, la verbalisation des situations mathématiques sont encore très souvent (trop souvent ?) réservées dans les écoles françaises aux séances de remédiation et de soutien.
Pour conclure
Passer par la manipulation, la modélisation d’une situation mathématique ne permet-il pas de cultiver des capacités cognitives de plus haut niveau et d’ancrer plus profondément des compétences ? Aller vers l’abstraction bien sûr, mais progressivement, aborder les mathématiques par leur aspect tangible ne serait-il pas non seulement une bonne manière d’en finir avec le mythe de la bosse des maths, mais de permettre à tous les enfants de « penser mathématiquement » ? Et finalement, d’acquérir, comme le pense Monica Neagoy, « une agilité d’esprit qui sera utile dans tous les domaines ».
Infographie Singapour
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Article publié le 11 mars 2020, mis à jour le 8 mars 2022.
Sources :
– Le Point, hors-série, « La méthode de Singapour »
Découvrez d’autres contenus en ligne sur la méthode de Singapour sur le site du Point
– Le blog de Lulli
Et si vous vous intéressiez à la méthode heuristique de maths ? Des centaines de classe l’utilisent et en sont plus que satisfaites !
présentation de la méthode ici: https://methodeheuristique.com/page1-2/presentation/
Les avis des utilisateurs: https://methodeheuristique.com/2-ils-font-mhm/ils-donnent-leur-avis/
Bonjour
Nous nous intéressons en effet beaucoup également à l’approche heuristique de manière générale (voir cet article par exemple : https://www.bloghoptoys.fr/jeu-heuristique-cest-quoi) et pourrions, vous avez raison, en présenter l’application en mathématiques sur ces pages.
Bonjour Madame
merci pour cet article très instructif .
Ou peut-on t’on trouver des cours de soutien en mathématique méthode singapour à Paris et en région parisienne?
Merci
Bonjour Christelle,
Merci pour votre message ! Vous pouvez contacter l’Association Animath, dont le vice-président a été interviewé à plusieurs reprises au sujet de la méthode Singapour 🙂
J’espère que cela sera une piste pour vous !
Je vous souhaite un beau weekend,
C.
Je me méfiais beaucoup des manuels ou fichiers à suivre à la lettre ..(il y a bien longtemps). Cela me fait penser aux tableaux Rossignol accompagnés du Livre des maîtres………que les maîtres d’application gardaient jalousement pour eux. Pauvre histoire de France! Je pense que si on veut de bons résultats, il faut que l’enseignant « se mouille »´ y mette du sien. J’ai fait une carrière d’instit……j’en ai fait des bêtises pendant qq années …….et j’en ai vu faire. J’ai vu des instits travailler avec un fichier……très peu pour moi. J’ai vu arriver les ENSEMBLES qui devaient faire de nos élèves des génies….Pensez, ça vient d’Amerique….disait un inspecteur qui avait sans doute oublié les startfighteurs,,,,