En France, on connaît bien les neurosciences cognitives, mais on connaît un peu moins bien les neurosciences affectives et sociales. C’est la pédiatre formée en haptonomie et en communication non-violente, Catherine Gueguen qui, à travers ses livres et ses conférences1, a vulgarisé les dernières recherches sur le cerveau émotionnel de l’enfant. Elle relate notamment comment les relations entre adultes et enfants transforment en profondeur le cerveau de l’enfant et agissent sur qui ils sont, leur capacité d’apprentissage et qui ils vont devenir. On vous en dit plus dans cet article.
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Les neurosciences affectives
Selon Catherine Guegen, les neurosciences affectives étudient ce qui se passe dans notre cerveau lorsque nous sommes en relation avec les autres, lorsque nous éprouvons des émotions et des sentiments. Les neurosciences mettent en relief le fait que le cerveau humain est séparé en trois parties : le cerveau archaïque, le cerveau émotionnel et le cerveau intellectuel. Les trois sont reliés entre eux par des connexions neuronales.
Toute rencontre, toute expérience émotionnelle va modifier en profondeur le cerveau. Ces expériences transforment aussi bien le cerveau affectif que le cerveau intellectuel. Elles vont modifier les structures cérébrales, les circuits cérébraux, les cellules cérébrales, les molécules cérébrales, et même l’expression de certains gènes.
Ainsi, les neurosciences affectives ont permis de mieux comprendre l’enfant, ses émotions, le développement de son cerveau et, de fait, ses capacités réelles, émotionnelles, ainsi que son rythme de développement…
Le cerveau à la naissance
À la naissance, le cerveau est immature. Les connexions ne sont pas terminées, l’enfant est alors dominé par son cerveau archaïque et réalise des mouvements automatiques involontaires qu’on appelle réflexes archaïques. Il tète, s’agrippe, puis relève la tête, etc. Petit à petit, les circuits neuronaux qui relient le cerveau supérieur au cerveau archaïque se créeront et votre enfant contrôlera ainsi de plus en plus ses mouvements.
Mais qu’en est-il de la partie du cerveau qui gère ses émotions ? Le constat est le même. Tant que les liaisons neuronales ne sont pas faites, l’enfant est dominé par ses émotions : il les vit avec une extrême intensité. Ses peurs, ses chagrins sont exprimés très fortement. En effet, il n’a pas la faculté de prendre du recul, d’analyser la situation.
Exemple de Lucas, 3 mois
Dans sa conférence Tedx, Catherine Gueguen prend l’exemple de Lucas, 3 mois, qui pleure dans son lit. Ses parents hésitent : « Est-ce qu’il faut aller le voir (encore une fois) ? » , « Est-ce qu’il faut le laisser pleurer ? ». Que va-t-il se passer si ses parents ne vont pas le voir ? Son cerveau étant encore très immature, Lucas n’a pas la capacité à se réconforter seul, à user de stratégies pour se calmer et se rassurer. Son cerveau va donc libérer une molécule de stress, le cortisol. Libérée trop souvent et en trop grande quantité, cette molécule peut détruire des cellules du cerveau de manière irréversible.
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Les bénéfices du maternage
Si au contraire, ses parents le maternent, le câlinent et le rassurent, cela va faire maturer son cerveau : le cortex frontal, mais aussi l’hippocampe qui nous permet de mémoriser et d’apprendre. Materner permet de sécréter aussi une molécule qui s’appelle le BDNF qui permet aux cellules du cerveau de bien se développer et d’avoir de bonnes connections ainsi que la molécule ocytocine qui permet d’être plus empathique, moins stressé. Le maternage permet donc d’agir sur tout le système nerveux.
Lucas, 2 ans
Plus tard, Lucas a 2 ans et mord un enfant qui lui a pris sa tétine. L’attitude de l’adulte face au comportement de Lucas va être importante dans le développement de son cerveau. Lucas est trop petit pour maîtriser ces émotions et réactions. Son cerveau n’est pas mature. Toutes humiliations verbales ou physiques auront un impact sur le développement du cerveau de l’enfant. Il pourrait ne pas avoir un cerveau prêt à maturer à l’âge de 5-6 ans et cela pourrait même avoir un impact sur la personne qu’il deviendra adulte : stress, anxiété, agressivité, manque d’empathie.
Au contraire, en réagissant avec bienveillance et en expliquant à l’enfant pourquoi il ne faut pas mordre, l’adulte montrera l’exemple à l’enfant en réagissant avec empathie. En effet, l’enfant se construit par rapport à l’adulte, aux relations et expériences qu’il a avec lui et également par rapport à sa manière de faire face à des difficultés. C’est donc tout l’environnement affectif de l’enfant qui a une incidence favorable ou non sur son développement neuronal.
Le comportement d’un parent ou d’un enseignant a un rôle déterminant dans le processus d’acquisition de l’enfant , observe Catherine Gueguen1.
Comment le bien-être émotionnel facilite l’apprentissage ?
L’importance de l’attitude de l’adulte
L’attitude de l’adulte face au comportement de l’enfant va être importante dans le développement de son cerveau. Comme nous l’avons vu, toutes les humiliations verbales ou physiques ont un impact sur le développement du cerveau de l’enfant. En effet, les neurones de l’hippocampe, l’une des zones qui nous permet de mémoriser et d’apprendre, vont être atteints.
Les recherches en neurosciences affectives et sociales confirment qu’une relation empathique, aimante et soutenante est fondamentale pour l’évolution optimale du cerveau de l’enfant.
Toutes les études convergent pour montrer que le cerveau se développe de façon optimale, tant intellectuellement qu’affectivement, lorsque l’enfant ou l’adolescent est écouté, compris, soutenu, encouragé, motivé.
Catherine Gueguen1
Une attitude bienveillante de l’adulte, qu’il soit parent ou enseignant, faciliterait donc les apprentissages. Et cela est d’autant plus important lorsque l’enfant est jeune. En effet, plus l’enfant est jeune, plus le cerveau est malléable et modifiable. C’est pourquoi les enseignants de la maternelle et de l’élémentaire ont un rôle important à jouer dans le développement du cerveau de l’enfant.
L’attitude bienveillante ne veut pas dire qu’on laisse tout faire à l’enfant. L’adulte doit mettre un cadre, des limites, mais avec bienveillance. Il lui faut réagir en douceur sans céder.
Sachez également qu’il n’est pas trop tard pour modifier votre façon d’éduquer ou d’enseigner. Notre cerveau d’adulte est lui aussi malléable et nous pouvons apprendre de nouvelles compétences, de nouveaux schémas de penser. Et ainsi, changer notre façon de pensée et d’agir avec les enfants.
Construire l’intelligence émotionnelle
De la naissance et jusqu’entre 5 et 7 ans, l’enfant est dominé par ses émotions. Sachant que son cerveau est encore immature, mettre des mots sur les émotions, apprendre à y répondre et les gérer va être bénéfique pour l’enfant, pour son développement émotionnel. C’est là tout l’intérêt de construire l’intelligence émotionnelle de votre enfant dès le plus jeune âge.
L’intelligence émotionnelle repose sur la capacité à identifier ses propres émotions et celles des autres, comprendre ses émotions, les utiliser et les gérer.
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Développer l’empathie chez l’enfant et l’adulte
« L’empathie donne à l’enfant une boussole intérieure », souligne Daniel Favre, Docteur en neurosciences et professeur en sciences de l’éducation à Montpellier2. Le neuropsychiatre, Boris Cyrulnik la définit comme « l’aptitude à se décentrer de soi pour se représenter le monde d’un autre ».
L’empathie ne se décrète pas. La relation bienveillante avec l’enfant, ou l’élève, se travaille et s’apprend. Le professeur Daniel Favre soutient que les enseignants doivent être aidés en ce sens. « À la phase d’apprentissage correspond une phase de déstabilisation cognitive et affective et les enseignants doivent être suffisamment formés pour accompagner les élèves durant ce processus ». Un enfant compris, soutenu, sera motivé, va s’épanouir dans son milieu familial comme à l’école.
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Le droit à l’erreur
Lorsqu’un enfant apprend, il va forcément faire des erreurs. La manière dont nous, adultes, nous allons juger, traiter cette erreur, aura un impact sur l’apprentissage de l’enfant et au-delà sur son cerveau. La notion d’erreur ne doit pas être associée à ce qui est mal, mais à quelque chose de normal, d’inévitable. Selon Catherine Gueguen, il faut donc veiller à ne pas associer « se tromper » à du stress.
La peur de se tromper inhibe nos capacités. Catherine Gueguen1
Cependant, elle souligne également qu’il ne faut pas non plus ignorer l’erreur, dire que ce n’est pas grave et passer à autre chose. Il est important de revenir systématiquement sur les erreurs commises, car on apprend le « mieux en corrigeant nos propres erreurs ».
Sources :
Comment les émotions influencent les apprentissages, Le ligueur des parents, 16 mai 2018
(1). Catherine Gueguen, « Pour une enfance heureuse’’ et ‘’Heureux d’apprendre à l’école ». Éditions Pocket.
Conférence tedx de Catherine Gueguen
(2) Daniel Favre : « Transformer la violence des élèves » . Et « Cessons de démotiver les élèves ». Éditions Dunod
Article publié le 25 janvier 2021, mis à jour le 02 mars 2021.