Bonjour Tenessy, peux-tu te présenter ?
Oui bien sûr ! J’ai 29 ans et je suis maman d’un petit garçon de 6 ans. Pour me présenter je vais vous décrire mon parcours et les étapes qui m’ont permis d’accéder en tant qu’enseignante aux pédagogies coopératives.
Après ma licence de droit (j’hésitais grandement entre être journaliste et enseignante) j’ai décide de passer le fameux concours CRPE afin de devenir enseignante. Concours non obtenue la première fois. Mais cet échec m’a permis de faire une rencontre qui a littéralement changé mon projet. Une amie chef d’établissement d’une école privée sous contrat d’association avec l’état m’a proposé d’aller dans son école. J’ai pu découvrir pour la première fois l’école privée. Cela a été pour moi une véritable révélation et j’ai décidé de présenter le concours pour enseigner dans ces écoles.
A ce moment-là est intervenue la réforme du CRPE avec la fameuse masterisation, il fallait donc que je passe un master pour espérer repasser le concours. Et c’est durant ces études que j’ai découvert la pédagogie coopérative avec mon formateur Sylvain Connac. C’est là qu’a débuté mon cheminement vers cette interrogation « Quelle enseignante je veux être ? ». Cette nouvelle pédagogie présentée (pas si nouvelle que ça car inspirée des écoles Freinet qui datent du début du siècle dernier) semblait être vraiment proche de la demande des enfants et de leurs besoins, mais tellement loin de ce que nous avions vécu enfant.
Au début des cours sur la pédagogie coopérative, j’avais vraiment l’impression que mon formateur me parlait chinois. Durant mon année en tant que berceau, c’est-à-dire en poste après avoir réussi le concours, j’ai tenté de mettre en place quelques petits outils de pédagogie coopérative. Cela m’a semblait si difficile. Puis à la suite de cette année je me suis mise en dispo un an pour réaliser mon rêve de danseuse sans penser une seconde à la classe et à la pédagogie. L’année suivante, j’ai repris un poste et là tout m’a semblé couler, tous les outils qu’on m’avait donné ont pris place tout naturellement et c’est là que ma classe est devenue une classe coopérative. J’avais l’impression que j’avais trouvé quelle enseignante je veux être, une enseignante d’une classe coopérative. Je remercie d’ailleurs Florence Saint Luc qui m’a accompagnée cette année-là dans cette construction.
Pourquoi as-tu choisi d’utiliser les pédagogies coopératives ?
Cela est venu tout naturellement, j’étais dans une classe d’un un quartier difficile de Nîmes et ces outils qu’on m’avait présenté quelques années plus tôt m’ont semblé être intéressants pour répondre à mes besoins et à ceux des élèves.
De plus, selon moi, la classe c’est les élèves qui doivent se l’approprier, je ne suis pas pour la toute-puissance de l’enseignant. Je suis bien sûr pour le respect mais surtout la confiance, il est primordial qu’une confiance s’installe entre un enseignant et ses élèves et quoi de mieux pour cela que de leur laisser des responsabilités et leur montrer que c’est eux qui sont maître de leurs apprentissages. Mais aussi et surtout qu’ils peuvent y arriver seul, en s’entraidant. Il faut leurs faire confiance et ils nous feront confiance. Ce qui est important également c’est de les écouter et donc de leur laisser la parole, de leur offrir des espaces où ils peuvent s’exprimer librement, c’est le cas du quoi de neuf, du bilan météo et du conseil.
Tu as utilisé les pédagogies collaboratives dans ta classe, peux-tu nous dire quels outils as tu utilisé?
Dans ma classe, divers outils inspirés des classes coopératives ont pris place :
- Le quoi de neuf ?
- Le bilan météo
- Le conseil de classe
- Les outils de régulation des conflits de manière non – violente : message clair, médiation.
- Les brevets de comportement que j’ai construit sur la base des ceintures de comportement
- Le marché des connaissances
- Le plan de travail
- Le tutorat
Peux-tu nous citer des exemples d’applications concrètes au sein de ta classe ? Cela n’a pas été trop dur à mettre en place ?
Oui avec plaisir. J’ai décide de vous présenter le tutorat.
Lorsque j’ai mis en place le plan de travail, il était pour moi évident que cela irait de pair avec l’installation du tutorat au sein de ma classe. Pour ce faire, j’ai lu quelques ouvrages qui m’ont donné des pistes puis j’ai testé deux procédés, l’un m’ayant davantage convaincue.
- L’outil utilisé :
J’ai, tout d’abord, construit avec l’aide des élèves des tétra’aides :
J’ai choisi le tétra’aide de Bruce Demaugé plutôt que le passeport car j’aimais bien cette idée de volume, le fait que chaque enfant en ai un dès le matin sur sa table, c’est coloré, il n’indique pas seulement le besoin d’aide mais le fait que tout va bien. Je pense que chaque enseignant a sa propre sensibilité à tel ou tel outil, c’est un fait.
Le tétra’aide est donc une pyramide à base triangulaire qui a quatre sommets, chacun ayant sa couleur et son utilité.
Une fois les tétra’aides construits, les distributeurs ont pris l’habitude dès le matin d’en poser un sur chaque bureau, ils sont ramassés le soir et stockés dans une petite boite au fond de la classe.
- La mise en place du tutorat :
A partir de ce moment, j’ai mis en place le tutorat ; J’ai commencé par demander qui voulait être tuteur, tout en expliquant que les élèves seraient en test pour voir s’ils respectaient bien leurs engagements. Puis j’ai demandé aux élèves qui pensaient avoir besoin d’aide de choisir leur tuteur. Suite à deux semaines de test, ce fonctionnement ne m’a pas convaincu car je n’ai pas aimé le fait que chaque enfant ait un tuteur. Je trouvais plus intéressant que les tuteurs puissent aider tous ceux qui en ont besoin mais puissent également s’aider entre eux. Ce n’est pas parce qu’on est tuteur qu’on n’a pas besoin d’aide ponctuellement (Les tuteurs ont aussi un tétra’aide sur leur bureau, ils peuvent l’utiliser si ils ont un problème, et un autre tuteur disponible pourra venir l’aider). C’est pourquoi, j’ai décidé de faire une liste de tuteurs parmi ceux, pour qui, les semaines de test s’étaient révélées positives.
Le déroulement est ainsi :
- Tant que les tuteurs n’ont pas terminé leur travail, c’est l’enseignante qui intervient auprès des élèves qui ont leur tétra’aide en rouge ou jaune.
- Dès qu’un élève tuteur a fini son travail, il le présente à l’enseignante qui le corrige rapidement pour voir si l’élève a effectivement bien compris. Si c’est le cas, il est officiellement tuteur disponible. Et je lui passe la main pour aider ceux qui en ont besoin.
- Chaque fois qu’un élève tuteur termine, il devient disponible pour aider les autres sur l’activité validé.
Ce fonctionnement permet qu’il y ait toujours au moins un élève qui ait validé l’une des activités proposées en plan de travail. Alors qu’avoir un tuteur affecté à chaque enfant pose une limite car si le tuteur n’a pas effectué le travail sur lequel son tutoré rencontre des difficultés, il lui sera difficile de l’aider.
J’utilise également le tutorat lors des phases d’entrainement, pas uniquement lors des temps de plan de travail ; le fonctionnement est le même sauf que tous les tuteurs sont disponibles dès qu’ils ont terminé car l’ensemble de la classe travaille sur le même point, on gagne donc en efficacité à ce moment-là.
- Le brevet de comportement :
Dans ma classe, être tuteur correspond à un brevet de comportement. Tous les brevets de comportements sont affichés en classe, ainsi les enfants peuvent voir quels sont les droits et les devoirs que confère un brevet. Ainsi, lorsqu’un élève demande en conseil de devenir tuteur, tous s’appuient sur les devoirs à respecter pour accomplir cette tâche et il est très intéressant de voir comment les élèves débattent en prenant appui sur cela. Certains élèves se voient immédiatement octroyer le droit de passer leur brevet de tuteur car l’ensemble de la classe s’accorde sur le fait que les devoirs sont respectés, alors que pour d’autres la classe demande parfois à ce que l’élève fasse des efforts et que sa demande repasse en conseil quelques temps après.
Lorsqu’un élève devient tuteur, il est à l’essai durant 15 jours pour voir si il respecte ses engagements, si c’est le cas, il devient officiellement tuteur de la classe, sinon, il devra refaire une demande lors d’un prochain conseil en respectant plus sérieusement les règles. Un élève, qui, ne respectent plus ses engagements peut se voir démis de ses fonctions durant un temps donné, il devra durant ce temps faire des efforts pour retrouver son poste.
Tes élèves ont-ils accroché ?
Oui bien sûr, mes élèves de CM2 qui n’avaient jamais vécu une telle expérience ont subi une révolution, ça a été pour eux une autre manière d’appréhender l’école, la vie en classe, les apprentissages. Et ils sont rentrés dedans à une vitesse incroyable, ils étaient partants et motivés pour tout, c’était pour moi un réel plaisir de les voir si heureux d’être à l’école.
Un mot pour la fin ?
Je pense qu’il est tant que l’éducation prenne un réel tournant. On connait ces outils, on sait qu’ils sont bénéfiques, qu’ils marchent mais les mentalités freinent la mise en place de toutes ces pédagogies nouvelles, on a toujours le spectre de « oui mais avant ». Cependant, je tiens à dire qu’on ne vit plus dans la même société, les enfants d’aujourd’hui ne sont plus les mêmes et il faut savoir s’adapter. Il faut chercher à motiver les enfants, à leur faire confiance, il faut de la part des enseignants beaucoup de bienveillance. Il est difficile parfois d’adopter ce type de pédagogie car cela veut dire se mettre en retrait et d’accepter de ne plus être l’acteur principal dans une classe.
On assiste aujourd’hui à une évolution des mentalités, de plus en plus d’enseignants, de parents s’intéressent à ces pédagogies. Il ne faut pas oublier, que nous enseignants, nous participons à la construction du citoyen de demain, alors que voulons-nous ? Des citoyens éclairés, avec une réflexion, ou des citoyens qui suivent tout simplement ce qu’on leur dit de faire…