Qu’entend-on par « Spectre de l’autisme » ? C’est une question à laquelle le Professeur émérite de psychologie René Pry répond. Dans cet article, il nous donne son point de vue sur ce que ce terme signifie. Il met alors l’accent sur l’importance d’un accompagnement individualisé. Il s’agit d’un extrait de son dernier ouvrage : « Autisme : le passage à l’âge adulte » des éditions Tom Pousse.

La notion de trouble du spectre de l’autisme

L’introduction de la notion de « Trouble du spectre de l’autisme » dans les dernières classifications internationales permet probablement de rendre justice à la variabilité des formes du trouble. Cette notion donne la possibilité de classer ou d’ordonner ces formes sur leurs apparences, ce qu’on appelle le morphotype : un spectre qui irait des formes les moins « visibles » aux formes les plus « visibles ». Mais cette notion à deux inconvénients majeurs. Le premier est de mal en définir les bornes ou les frontières. Le second est de laisser croire que ce « spectre » est continu, alors qu’il masque vraisemblablement des ruptures, des sous-groupes qui n’ont pas grand-chose à voir les uns avec les autres. 

De l’autisme « invisible » à l’autisme « visible »

Aux bornes extrêmes, on trouve d’un côté ce que certains nomment « l’autisme invisible », ces formes d’autisme qui ne seront identifiées que tardivement, souvent à l’âge adulte, et formes revendiquées par certains parents d’enfants avec TSA. Cet « autisme invisible » s’appuie sur la notion de « trait autistique », concept qui mériterait d’être explicité. En effet, ce terme « d’autisme invisible » relève d’un oxymore, c’est-à-dire d’une figure de style qui consiste à réunir deux mots en apparence contradictoire. 

À l’opposé on va rencontrer des formes sévères dans lesquelles sont associées des conditions médicales, des maladies rares, des troubles génétiques avec une formulation de l’autisme dont on peut se demander si elle ne relève pas d’une « pathomimie », c’est-à-dire d’une clinique qui viendrait mimer les caractéristiques de l’autisme, mais qui n’est n’aurait probablement pas grand-chose avoir avec le trouble lui-même : ce pourrait être le cas chez certains enfants aveugles nés, ou dans certains troubles chromosomiques ou génétiques (Rett, X fragile, 10q25 & 26…) dans lesquels c’est le « TSA » qui accompagne le syndrome. 

Idées reçues autisme

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Un noyau commun à toutes les formes nommé « autisme »

La notion de spectre, enfin, laisserait croire que toutes les formulations cliniques du trouble peuvent s’ordonner sur un continuum. Cette idée mériterait aussi singulièrement d’être développée : en effet, entre « l’autisme de Kanner » (Autisme franc, autisme pur. Ces cas sont repérés très rapidement dès les premiers temps de la consultation), cette forme d’autisme pour laquelle le consensus entre des cliniciens, même de sensibilité très différente, est presque parfait, et qui caractérise des enfants, soit qui parlent à un âge habituel (ancien syndrome d’Asperger) soit qui se mettent à parler entre 24 et 60 mois (parfois plus tard et même beaucoup plus tard) et qui n’ont pas de trouble associé (« autisme pur »), et les formes d’autisme dans lequel le syndrome présente des comorbidités, soit avec à d’autres troubles du neurodéveloppement, soit avec d’autres conditions médicales, il paraît difficile de dire qu’il s’agit de la même chose, même s’il a peut-être un noyau commun à toutes ces formes, noyau nommé « autisme ». 

4 « spécificateurs » pour positionner le trouble sur le spectre

La notion de « spectre » a été proposée à la suite de l’introduction de « spécificateurs ». Les spécificateurs sont au nombre de quatre. Il faut les concevoir comme de véritables curseurs qui vont moduler pour chaque personne avec TSA la formulation du trouble. Ce sont le niveau de langage, le niveau intellectuel, le niveau de sévérité, et la présence ou non de troubles associés.  

De fait, ce sont ces quatre spécificateurs qui permettront de décrire le « morphotype » et ainsi de positionner chaque forme de trouble sur le spectre. Plusieurs choses sont à noter : le TSA est « indépendant » du niveau intellectuel. En effet, lorsque ce dernier est apprécié correctement (en ne pénalisant pas la personne : comme l’administration d’épreuves verbales, alors que la personne ne parle pas), on rencontre des scores globaux qui peuvent varier de 45 et 145.

Quant à la parole, le TSA est probablement le seul trouble chez le sujet humain dans lequel la variabilité observée est aussi grande . Cette dernière en effet, va d’une absence totale de langage en production, à un langage extrêmement sophistiqué, voire ampoulé.

De même, pour les degrés de sévérité, de gravité ou de « handicap », la variabilité est extrêmement importante. Elle n’est pas nécessairement liée à la formulation clinique du trouble. Restent les troubles associés (les comorbidités) dont la présence est incontestablement un facteur d’aggravation. Ces derniers posent à ce jour de véritables problèmes diagnostiques, et la présence d’une « clinique autistique » peut venir masquer les véritables difficultés de la personne. Des examens complémentaires (génétiques, psychiatriques) sont alors la plupart du temps nécessaire. 

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Prendre en compte chaque singularité dans les interventions

Ces considérations invitent à ne pas tenir des propos trop généraux sur le trouble autistique. Et dans un premier temps, à identifier de quelle forme il est question : autisme « pur », autisme associé à un autre trouble du neurodéveloppement, autisme associé à des conditions médicales (génétiques ou autres). Les trajectoires évolutives dans ces sous-groupes ne sont pas les mêmes. Les interventions dont ils pourraient bénéficier devraient prendre en compte chaque singularité. 

Si la reconnaissance de l’autisme comme « trouble du neurodéveloppement » est incontestablement une avancée importante, dans la mesure où la solidarité entre le développement cérébral de ces personnes et leurs particularités comportementales permet de comprendre un peu mieux leurs particularités, il n’en est pas de même pour la notion de « spectre » qui à l’inconvénient de masquer des différences entre sous-groupes et qui permet de s’engouffrer dans les brèches des formes « limites ». Il est possible que le clinicien y trouve son compte. Cependant, ce n’est pas le cas du chercheur. En effet, il a besoin de travailler sur des formes qui sont les plus « pures » possibles : qui a-t-il de commun entre une personne qui ressemble aux enfants décrits par Kanner, et une personne qui associe une trisomie 21 et un TSA ? 

Tout ceci pour dire que l’on peut plus, à ce jour, aborder l’autisme à travers des questions trop générales. Les réponses à ces dernières nécessitent de prendre en compte la « force » des spécificateurs propres à chaque personne. C’est à ce prix que nous avancerons vers des interventions individualisées, qu’elles soient éducatives ou rééducatives, qui respecteront les caractéristiques de chaque forme du trouble et de chaque personne. 


René PRY est professeur des universités émérite. II a fait coexister durant toute sa carrière une activité clinique (CHU de Colombes puis Centre de Ressources Autisme du Languedoc-Roussillon) et une activité universitaire. Il a enseigné aux universités de Paris (Institut de Psychologie), Montpellier, Genève, Aix-en-Provence et Lyon (Institut de Psychologie). Il est l’auteur d’une centaine d’articles et de cinq livres consacrés à l’évolution des compétences sociales chez l’enfant jeune et au développement de l’enfant avec trouble du spectre de l’autisme.

Alexandra Valette, Cheffe de projet communication et influence.

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