Marjorie est la maman de Silas, 10 ans. Il a eu un développement tout à fait classique au cours de sa petite enfance. C’est à l’âge de 3 ans que certains troubles se manifestent. Mutique sélectif, il recouvre le langage jusqu’à ce fameux matin, quelques jours avant ses 6 ans. Silas était là mais était ailleurs. Comme le dit sa maman, il était « dans la lune ». Dans cette interview, Marjorie témoigne de son histoire, de son parcours avec son fils jusqu’au diagnostic du trouble désintégratif de l’enfance, de son quotidien, mais aussi du livre qu’elle a écrit pour sensibiliser à ce syndrome et aux différents handicaps invisibles.
Marjorie, vous êtes la maman de Silas. Quand avez-vous commencé à vous dire que quelque chose n’allait pas ?
Silas est né le 1er janvier 2009. Il a aujourd’hui 10 ans. Il a la particularité d’être né en Jordanie. Nous travaillions alors là-bas avec des enfants réfugiés. À sa naissance, Silas n’avait aucune complication particulières. C’était un petit garçon tout ce qu’il y a de plus « normal » : il était souriant, il répondait bien, nous n’avons pas remarqué de particularité chez lui avant l’âge de trois ans.
C’est alors que nous avons remarqué certaines particularités : il n’était pas très en avance au niveau du langage, mais on s’est dit que comme il était dans un contexte trilingue, il était sans doute normal qu’il ait un retard de langage. C’était par contre un enfant extrêmement poli : il disait toujours merci, s’il vous plaît, pardon, beaucoup plus que la norme. Il était un petit peu maniéré, il ne prenait qu’une seule chips à la fois, il mangeait sa tartine avec une fourchette…
Le premier problème que nous avons rencontré était à la crèche. On nous a signalé qu’il ne parlait pas du tout. Il était par contre très sociable ; dans la rue il parlait aux gens, aux inconnus, aux clients dans les restaurants… Mais dès qu’il entrait dans un contexte formel comme l’école par exemple, il devenait mutique et il n’y avait plus aucun son qui sortait de sa bouche.
Nous avons vu une psychologue à ce moment-là qui nous a dit qu’il n’y avait pas de signe d’autisme mais qu’il avait du mutisme sélectif, ça a été le premier diagnostic, entre ses quatre et cinq ans.
Pour travailler sur ce mutisme sélectif, Silas a dû arrêter l’école et a commencé à aller en thérapie avec une orthophoniste, une ergothérapeute, et il y a fait énormément de progrès en une année. Il a pu développer son langage, il parlait très bien avec ses thérapeutes. Avant, Silas ne parlait que de choses concrètes. Avec ses thérapeutes, il a pu dépasser sa réflexion et parler du futur, ce qu’il ne faisait pas du tout auparavant. On sentait qu’il avait passé un nouveau cap, un nouveau niveau par rapport au langage. Ça nous a beaucoup encouragés. Il n’avait pas encore six ans à cette époque.
Un matin, quelques jours avant ses six ans, Silas s’est réveillé complètement dans la lune. Il ne nous répondait plus vraiment, il paraissait comme perdu dans ses pensées, et, de jour en jour, son état s’est dégradé. Il ne nous parlait plus vraiment à nous mais avait des peurs dues à des hallucinations visuelles. Il voyait par exemple des papillons dans la pièce, c’était comme s’il était à l’intérieur d’un scénario de film, comme dans un monde parallèle. Petit à petit, ses hallucinations sont devenues de plus en plus noires, il avait de véritables peurs, faisait de la paranoïa, il n’osait plus aller dans l’eau parce qu’il y voyait des requins, Il devenait tout blanc, se mettait à trembler… À l’époque, il pouvait encore dire ce qu’il voyait. Il était vraiment très angoissée, avait l’impression qu’on voulait s’en prendre à lui. Au fur et à mesure, il ne comprenait plus les ordres simples, comme par exemple « mets ce papier à la poubelle ». Ses envies se sont également limitées : quand nous passions devant un marchand de glace, il ne demandait plus à en avoir mais se mettait en position assise par terre et pleurait.
En l’espace de six mois, Silas a perdu complètement la parole. Au départ, il parlait encore à un monde imaginaire, mais plus à nous. Puis il est devenu mutique. Il a perdu beaucoup d’acquisitions : la compréhension de ce qu’on pouvait lui dire, sa continence, la maîtrise de ses sphincters, mais aussi sa capacité à jouer, tout l’intérêt qu’il portait au jeu alors que c’était un petit garçon qui jouait très calmement pendant des heures et des heures avec ses circuits de train, ses voitures… Il a également perdu toutes les habilitées sociales qu’il avait acquises jusqu’à présent, ce qui a donné lieu à des situations difficiles et complexes à gérer au quotidien.
C’est un handicap qui est invisible, mais qui pose beaucoup de problèmes en société.
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Quelles ont été les différentes étapes avant qu’on lui diagnostique un trouble désintégratif de l’enfance ?
Pour nous, ça a été un immense choc de voir notre enfant perdre des capacités chaque jour. Lorsque que nous vivions en Jordanie, il a passé des I.R.M., des électro-encéphalogrammes, toutes sortes de tests sur le cerveau, des tests génétiques également. À chaque fois, les médecins ne trouvaient rien du tout. Ce qui était terrible pour nous en tant que parent puisque nous aurions aimé qu’ils trouvent quelque chose qui se soigne, quelque chose qu’on puisse faire, quelque chose qu’on puisse opérer… C’est terrible lorsqu’on espère presque que son enfant ait une tumeur au cerveau, quelque chose qu’on puisse enlever pour qu’il aille mieux ensuite.
On nous a dit ensuite que notre enfant était autiste. Nous nous sommes interrogés sur le fait qu’il puisse devenir autiste du jour au lendemain, nous étions un peu sceptiques puis on a commencé à faire certaines recherches. Personnellement, j’en ai fait sur le syndrome de Rett, car j’ai une belle-sœur qui en est atteinte. C’est aussi une infection dégénérative mais ça commence beaucoup plus tôt. J’ai été soulagée car le syndrome de Rett ne correspondait pas aux symptômes qu’avait Silas, mais je suis aussi tombée sur le syndrome de Heller, le trouble désintégratif de l’enfance, et Silas correspondait trait pour trait à la description.
Nous avons dû prendre la décision de rentrer en Suisse pour la prise en charge de Silas, notamment pour qu’il puisse entrer dans une école spécialisée. Nous sommes allés à l’hôpital universitaire de Lausanne en Suisse et c’est là que le diagnostic a été confirmé par un neuropédiatre. Le syndrome de Heller est extrêmement rare, c’est un cas sur 100 000. Ce syndrome est parfois diagnostiqué comme de l’autisme à développement tardif, donc tous les enfants qui l’ont ne vont pas forcément recevoir le diagnostic de Heller. Il y a d’autres types d’autisme qui sont régressifs de façon brutale. Pour Silas, cela s’est déclenché véritablement vers six ans.
Maintenant, le syndrome de Heller est classé dans le spectre de l’autisme mais cela fait un peu débat… Silas ne correspond pas du tout aux caractéristiques qu’on imagine d’un enfant autiste atypique. Silas aime beaucoup regarder les gens dans les yeux, il cherche le contact, il aime le contact, qu’on le touche. Il a par contre un retard mental sévère. Certains parents qui ont un enfant sur le spectre de l’autisme disent que ce n’est pas un handicap. Personnellement, dans le cas de Silas, je revendique le terme « handicapé » dans le sens où c’est un véritable handicap invisible pour lui au quotidien, il est atteint de façon assez sévère puisqu’il ne peut plus du tout s’exprimer…
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Comment, en tant que parents, avez-vous accepté ce diagnostic ?
Quand ça nous est tombé dessus, c’était un peu comme un train qu’on se prenait en pleine face. On ne s’est jamais dit « pourquoi nous », « c’est pas juste », mais on s’est plutôt dit « comment va-t-on faire face ? », « comment va-t-on accueillir Silas ? ». Pour nous ça a été un véritable deuil. Nous avons eu l’impression que cet enfant que nous avons eu de zéro à six ans était mort, et que l’on nous avait donné un autre petit garçon qui lui ressemble mais qui n’était plus du tout le même. Comment faire le deuil de quelqu’un qui vit encore ? Nous avons dû réapprendre à vivre avec le nouveau Silas, avec celui qu’il est à présent, et revivre après cet étape de deuil qui nous a bien pris deux années. Deux années où l’on a pu faire preuve d’une grande résilience mais où on ne pouvait en même temps pas s’empêcher de pleurer cet enfant perdu. Puis, petit à petit, au fil du temps, nous nous sommes rendu compte que ce handicap n’est pas la fin d’une vie mais plutôt le début d’un nouveau monde où l’on rencontre énormément de gens, beaucoup de soutiens, des personnes formidables qui entourent Silas au quotidien et qui nous encouragent chaque jour.
L’école spécialisée dans laquelle Silas va au quotidien est une véritable chance. Nous voyons qu’il s’y sent bien, qu’il a du plaisir à y aller, qu’il s’adapte à chaque enfant. Une des choses qui change le plus pour nous chez Silas, ce n’est pas forcément qu’il ait perdu la parole, parce qu’il communique avec le regard, avec le sourire, mais c’est qu’il soit extrêmement hyperactif. Silas est sans arrêt en train de bouger, de sauter ; nous avons un trampoline dans le salon, un autre dehors, un hamac pour qu’il puisse se balancer… Il ne s’intéresse qu’aux choses qui le font bouger, il n’arrive à s’asseoir nulle part s’il n’est pas attaché.
Cette hyperactivité est très difficile à vivre au quotidien et nous devons sans arrêt surveiller Silas car il peut se mettre en danger. Il y a deux semaines, nous l’avons perdu durant une heure et nous avons dû appeler la police. Nous avons retrouvé Silas en train de se baigner dans une rivière en plein mois d’avril, dans une rivière avec du courant. Il n’a aucune conscience du danger qu’il encourt. Tout se passe en quelques secondes. Silas demande une surveillance de tous les instants. C’est dur en tant que parent au quotidien, d’autant plus que c’est jour et nuit. Mais ce dont nous sommes sûrs, c’est qu’il est heureux de sa vie. Il ne se rend plus compte désormais de tout ce qu’il a perdu. Il vit dans l’instant présent, et c’est quelque chose qui nous apprend beaucoup.
Nous essayons de lui donner du plaisir au quotidien, dans les activités qu’il fait, mais aussi à l’école. Il a également retrouvé le goût pour la natation, il fait de l’équitation, de la gym, de la musique… Enfin, quand je dis qu’il fait de la gym, il court dans une salle de gym… ! Nous n’avons peut être plus d’espoir pour que Silas retrouve un jour la parole, pour qu’il puisse être autonome, mais nous nous efforçons qu’il ait chaque jour des joies et des petits bonheurs au quotidien, et il faut dire qu’il nous en donne énormément aussi. Nous sommes désormais axés sur sa qualité de vie.
Après le diagnostic du trouble désintégratif de l’enfance, quelle a été la prise en charge de Silas ?
Cette situation nous a donné beaucoup de solidarité en famille, beaucoup d’ouverture d’esprit pour nos enfants. Silas est le dernier d’une fratrie de quatre enfants donc il a deux sœurs et un frère qui l’aiment de tout leur cœur et qui l’entourent beaucoup. Ça leur a beaucoup appris en terme de tolérance, d’amour inconditionnel, ça nous a soudés les uns aux autres, autour de la situation de Silas. Notre but serait de garder Silas avec nous le plus longtemps possible.
Silas est actuellement externe au sein de son école. Un taxi vient le récupérer et le ramène chaque matin et soir. Je me consacre à lui dès lors qu’il rentre à la maison parce qu’il en a besoin, que ce soit en terme de surveillance, pour le faire manger, pour le changer, le doucher… Je pense qu’à l’âge de 18 ans, Silas ira vivre dans un foyer adapté. On se dit que c’est la vie, que tous nos autres enfants partiront également de notre maison. Ils ne vont pas rester avec nous toute leur vie ! La vie de Silas sera donc d’être dans un internat, on espère qu’il aura le plus de plaisir possible avec d’autres jeunes adultes comme lui.
En grandissant, nous savons que Silas va être de plus en plus difficile à gérer, parce que déjà, il ne veut plus forcément faire tout ce que l’on veut. Nous devons négocier avec lui et nous ne pouvons pas le forcer. C’est normal, il a son caractère. Et c’est parfois tellement dur que nous nous disons qu’il nous sera difficile de le garder jusqu’à ses 18 ans… Nous réfléchissons à tout ça au jour le jour. Actuellement, en Suisse, nous avons droit à des aides, des relais, où Silas va pouvoir passer un week-end dans une unité d’accueil temporaire. Nous avons également le droit à ce qu’on appelle une contribution d’assistance, grâce à laquelle nous pouvons engager 100 heures par mois, des assistantes qui peuvent nous aider durant les week-ends, les vacances, et qui sont payées par l’assurance invalidité. C’est grâce à ce genre de mesures que nous pouvons tenir et garder Silas à la maison avec nous, sinon ce serait impossible.
Vous avez écrit un livre pour raconter votre histoire, votre quotidien et donner de l’espoir aux familles qui comme vous, sont confrontées au trouble désintégratif de l’enfance ou au handicap. Pourriez-vous nous parler de ce livre ?
J’ai écrit le livre Derrière ton sourire pour plusieurs raisons. D’abord j’ai toujours aimé raconter des histoires, et nous trouvons beaucoup d’humour dans les situations, les bêtises et anecdotes de Silas au quotidien ! Le fait d’en rire après coup, c’est aussi ça qui nous aide à tenir le coup. De se dire que ce que les gens pensent de lui ou de nous, ce n’est pas important. L’important est que Silas soit heureux.
J’ai écrit ce livre pour sensibiliser le public à ce que c’est qu’avoir un enfant avec un handicap invisible, que des comportements déroutants ou dérangeants d’un enfant dans l’espace public ne sont pas forcément dus à un problème d’éducation, mais que derrière son sourire, il y a toute une histoire et une famille qui fait de son mieux pour l’encadrer. Ce livre est là pour expliquer tout ça, pour que les gens soient plus tolérants. Ce que je veux y dire, c’est que le handicap de Silas nous a beaucoup apporté, à nous en tant que parents. Vivre avec un enfant porteur de handicap au quotidien nous apprend énormément de choses par rapport à la valeur de la vie.
Est-ce qu’une vie réussie c’est simplement d’avoir un métier, d’avoir de l’argent, de construire une maison, ou est-ce qu’il y a d’autres valeurs de bonheur au quotidien ? Et puis si ça peut encourager d’autres personnes avec des enfants qui ont des handicaps invisibles ou des troubles du comportement et bien tant mieux !
Le trouble désintégratif de l’enfance est un trouble peu connu car il reste rare. Votre enfant a ce même syndrome et vous souhaitez partager votre témoignage ? N’hésitez pas à nous laisser votre commentaire.