Les sonneries, les notifications, les écrans de portable, de tablette, de télévision, la multiplication des informations, les choses à ne pas oublier, les activités à mener. Tout va vite, s’enchaîne. Dès le plus jeune âge, nous sommes au cœur de toutes les sollicitations, qui impactent l’attention, la concentration. Retour sur ces concepts avec l’œil d’expert de Nathalie Franc, pédopsychiatre.
par Patricia Guipponi, journaliste
Nos capacités de concentration
Du haut de ses vingt mois, Adrien est un petit garçon vif. Il passe d’une activité à l’autre en peu de temps. Dessin, puzzle avec sa maman, danse improvisée sur une comptine. Rien d’étonnant.
Avant trois ans, le temps de concentration maximal d’un enfant ne dépasse pas dix minutes.
De trois à six ans, les capacités de concentration augmentent jusqu’à vingt minutes, variant selon les activités. L’explication d’une leçon, d’une règle de jeu, ne doit pas excéder plus de dix minutes, sans quoi l’enfant sera distrait, difficile à remotiver.
De six à dix ans, l’attention et l’écoute peuvent aller jusqu’à trente minutes selon la tâche à accomplir, sans que l’enfant ne gigote, à raison de pauses de deux à trois minutes.
Le temps de concentration va différer en fonction du plaisir, de la curiosité provoqués par l’activité. De sa variété. L’état de fatigue, d’anxiété, de santé, l’environnement de l’enfant influent sur cette durée.
Distinguer la concentration et l’attention
Pour comprendre ces mécanismes, il faut distinguer l’attention et la concentration. La première est au centre du fonctionnement cognitif. C’est un prérequis pour l’ensemble des processus mentaux qui mettent en jeu la mémoire, le langage, le raisonnement, l’apprentissage, la prise de décision, etc. Être attentif, c’est mobiliser les cinq sens que sont l’ouïe, l’odorat, le goût, le toucher et la vue pour une réception maximale. À l’inverse, être concentré suppose de réduire son champ d’attention. De se focaliser sur un point précis, se fermer à ce qui pourrait distraire. La concentration est donc l’une des composantes de l’attention. Cette dernière se décline en plusieurs types :
- Partagée ou multi-tâches. Elle permet de se positionner sur plusieurs activités en même temps : dessiner tout en ayant une conversation, par exemple.
- Sélective ou dirigée. Elle suppose de sélectionner une source d’information et d’occulter les autres, tout en ayant conscience de leur existence : écouter de la musique alors que la sirène retentit dehors.
- Soutenue. Elle se caractérise par la capacité à mener de façon continue, par un effort volontaire, une tâche. Cela peut être de plancher sur une rédaction en classe pendant quarante minutes.
Des altérations ponctuelles ou sur la durée
Nos facultés nous permettent de retenir en moyenne 10 % de ce que nous lisons, 20 % de ce que nous entendons, 30 % de ce que nous voyons. Nous sommes capables d’assimiler les 50 % de ce que nous avons sous les yeux et de ce qui parvient à nos oreilles en même temps. Toutefois, nos capacités peuvent être altérées ou obstruées – ponctuellement ou sur la durée – par des facteurs extérieurs : sollicitations multiples qui distraient, problèmes familiaux, scolaires ou affectifs, stress, fatigue, défaut d’intégration neurosensorielle.
D’autres facteurs viennent bouleverser nos mécanismes cognitifs. Cela peut être notamment d’ordre psychopathologique chez les plus jeunes dans le cadre d’un trouble du déficit de l’attention. Il peut s’agir de problèmes vasculaires cérébraux ou de dégénérescences comme la maladie d’Alzheimer. La prise de médicaments, comme les antihistaminiques ou certains traitements contre le rhume, les anxiolytiques ou les neuroleptiques.
La perte d’attention vue par les médecins
Le Docteur Nathalie Franc, pédopsychiatre au CHU de Montpellier, est spécialiste des troubles du comportement chez l’enfant et l’adolescent. Nous l’avons interrogée sur cette supposée perte d’attention généralisée.
Sommes-nous aujourd’hui en perte d’attention ?
Il n’y a pas plus d’enfants TDA qu’avant. Je dirais que c’est le style de notre attention qui a changé. On est beaucoup plus sollicité. Par les écrans, les notifications. Nous sommes devenus multi-tâches. Nous sommes aussi plus distraits. Et ce, quel que soit notre âge. Les enfants, eux, n’ont rien à voir avec les gamins d’il y a trente ans. Ils ont plus de vivacité.
Toutefois, on se trompe si on pense qu’il y a plus de troubles de déficit de l’attention (TDA) chez l’enfant. Il faut être prudent. On diagnostique les TDA – avec ou sans hyperactivité – mieux qu’avant au niveau médical. Auparavant, on se contentait de dire qu’ils étaient nuls ou têtes en l’air. À présent, ils sont repérés, pris en charge, suivis. On adapte pour eux des aménagements scolaires. On va donner des conseils aux parents : par exemple de ne pas s’énerver quand on est obligé de répéter les choses, car cela peut avoir un impact négatif dans la construction de l’estime de l’enfant, dans la capacité qu’il aura à développer des stratégies. Il faut plutôt être compréhensif et lui dire : « Pourquoi ne le noterais-tu pas ? », en le valorisant : « Tu peux y arriver ». Et cette bienveillance doit s’appliquer à tous les enfants, qu’ils soient TDA ou pas.
Quand parle-t-on de TDA ?
C’est un sujet complexe qui ne s’explique pas par le seul processus neuropsychologique. Personne n’a la même capacité à rester attentif, les mêmes compétences attentionnelles. Un enfant qui est étourdi, a du mal à se concentrer, passe d’une activité à l’autre, ne souffre pas forcément de trouble neurodéveloppemental de déficit de l’attention. Ce trouble n’est pas causé par le manque d’affection ou des problèmes psychosociaux et n’a pas de lien avec l’intelligence de la personne concernée. On parle de TDA, avec ou sans hyperactivité, quand cela est une véritable gêne pour l’enfant, que ça a un impact, un retentissement sur sa vie et celle de sa famille. Le TDA associe trois symptômes dont l’intensité et les manifestations varient selon la personne :
- Le déficit de l’attention
- L’hyperactivité motrice
- L’impulsivité.
La gêne éprouvée par l’enfant se repère dans trois sphères :
- L’environnement scolaire, et ce par le comportement de l’enfant dans la classe, son apprentissage, etc.
- En famille, où s’expriment son autonomie, son comportement face aux consignes qui peut engendrer beaucoup d’oppositions passives ou actives. L’enfant est difficile à « coacher », il faut lui répéter les choses car il ne les entend pas, les oublie…
- L’environnement social et relationnel, domaine très important et dont on ne parle pas assez. Certains enfants ont des difficultés pour s’adapter aux autres, vont se retrouver isolés, en perte d’estime de soi.
Quelles sont les bonnes pratiques pour stimuler la concentration ?
Les jeux sont intéressants pour cela. Les échecs, par exemple, car ils font travailler de façon globale la concentration, l’anticipation, la planification, la réflexion. Certains jeux stratégiques ont ces propriétés. Le jeu doit rester un plaisir et pas une contrainte ou vu comme un devoir d’école. L’atmosphère de bienveillance développée autour de l’enfant lors du jeu est importante. La relation que l’on établit avec lui doit être un moment d’échange agréable.
Quant aux écrans, il ne faut pas les diaboliser. Ils peuvent avoir leur utilité. L’essentiel est de doser leur utilisation. La concentration que l’on met sur l’écran n’est pas celle que l’on porte à une tâche.
Les écrans sont une conséquence du manque de concentration et pas une cause : ils ne nécessitent pas de grandes capacités d’attention, ce qui explique qu’ils sont attractifs et motivants pour l’enfant qui peine à se concentrer.
>> Lire aussi « Enfants et écrans, des conseils pour une utilisation raisonnée »
Pour aller plus loin
Des livres où puiser des solutions concrètes
100 idées pour mieux gérer les troubles de l’attention : 100 idées pour mieux gérer les troubles de l’attention permet aux principaux acteurs qui gravitent autour de l’enfant de mieux comprendre les enjeux de ce trouble et d’identifier les signes et les symptômes qui le caractérise.
Troubles de l’attention avec ou sans hyperactivité : Fruit d’une collaboration suivie avec les équipes éducatives d’une école, cet ouvrage propose à l’ensemble des intervenants amenés à travailler auprès d’un élève TDAH des outils pratiques, inspirés des thérapies cognitivo-comportementales et émotionnelles, concrets et faciles à mettre en œuvre pour permettre à cet enfant de réussir sa scolarité. Les illustrations cliniques permettront de mettre plus facilement en place les aménagements pédagogiques nécessaires en situation scolaire.
Favoriser l’attention par des stratégies sensorielles : À l’aide d’études de cas, l’auteure, ergothérapeute, montre les liens existant entre les comportements d’hyperréactivité et d’hyporéactivité et les difficultés attentionnelles. Il outille en même temps les enseignants afin qu’ils puissent les reconnaître au quotidien. Elle suggère des façons d’adapter l’environnement ainsi que des stratégies simples pour faciliter l’intégration des différents systèmes sensoriels.
Expert en concentration : Saviez-vous que les mouvements croisés aident les échanges efficaces entre les deux hémisphères du cerveau, favorisant ainsi un meilleur traitement de l’information ? Cette affiche plastifiée, développée par une ergothérapeute, présente 28 stratégies sensori-motrices amusantes et faciles à mettre en place pour une meilleure concentration.
Digit, jeu de stratégie… d’observation et de concentration. Il s’agit de reproduire le schéma représenté sur l’une des cartes, en ne déplaçant qu’un seul bâtonnet !