Aspirer à une vie affective et sexuelle épanouie, c’est le droit et le souhait de toute personne. Mais souvent, pour les personnes en situation de handicap, cela reste encore un sujet tabou ou un parcours plus compliqué. Le 27 janvier 2022, nous avons eu la chance d’accueillir Laetitia Rebord, pair-aidante et coach en santé sexuelle, lors d’une discussion en live. Ainsi, durant une heure, elle nous a partagé son ressenti, son parcours et ses expériences. Découvrez ici un récapitulatif de ce live : « Vie sexuelle et handicap, c’est possible ? »
Vie sexuelle et handicap : parlons-en !
Je pense que le premier soulagement, quand on a un accès limité ou inexistant au plaisir, c’est surtout de pouvoir libérer la parole. De pouvoir affirmer son identité. Dire qu’on est un être sexué. C’est aussi de pouvoir revendiquer ce droit et cette liberté à parvenir à la vie affective et sexuelle.
Laetitia Rebord
C’est pour cette raison que Laetitia a voulu être porte-parole de toutes les personnes qui ne peuvent pas s’exprimer ou à qui on n’a pas laissé la possibilité de le faire, notamment au sein d’institutions ou des familles. Elle veut aider à libérer la parole et à faire comprendre qu’une vie sexuelle est possible avec un handicap. C’est aussi parce qu’elle a vécu cette impossibilité de s’exprimer qu’elle a décidé de devenir pair-aidante.
C’est quoi la pair-aidance ?
La pair-aidance repose sur l’entraide entre personnes qui ont ou ont été atteintes d’une maladie ou qui ont un handicap. C’est une aide mutuelle entre personnes qui ont plus ou moins les mêmes vécus. La pair-aidance est notamment recommandée dans le cadre d’une autonomisation et d’une autodétermination !
La pair-aidance a été développée dans le courant des années 1970 aux États-Unis. Au début, il s’agissait une vague de révolte de patients qui n’en pouvaient plus des diagnostics fatalistes et qui voulaient reprendre le pouvoir sur leur vie. La pair-aidance touche la (re)construction de la personne dans chaque dimension de sa vie. Autant sur les aspects sociaux, personnels, affectifs que professionnels.
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Qu’est ce qui permet d’être épanoui dans sa sexualité ?
Il est très important de parvenir à apprendre à connaître son corps, ce qui nous fait du bien, ce qu’on n’aime pas et savoir mettre des mots dessus. Ce n’est pas toujours simple dans le cas du handicap.
Laetitia Rebord
Laetitia note aussi l’importance de la communication, certes importante dans toutes les relations, mais d’autant plus dans le cas du handicap. En effet, il faut encore plus pouvoir exprimer ses désirs, ses besoins et ses limites à son ou sa partenaire pour pouvoir être épanoui dans sa vie affective et sexuelle.
Elle souligne également le fait que pour pouvoir communiquer sur ses désirs, il faut d’abord pouvoir les connaître, se connaître. Ce qui, dans le cas de certains handicaps, peut rendre cette étape plus délicate. Laetitia nous raconte alors, qu’en raison de sa paralysie, elle ne pouvait pas explorer son corps. Elle a fait appel à l’accompagnement sexuel. C’est à l’âge de 33 ans qu’elle a pu avoir quelqu’un qui l’a aidée à connaître sa sexualité et sa vie affective.
Quand on peut le faire tout seul, c’est bien, c’est mieux. Quand on est dans des difficultés comme la mienne, où je n’avais pas de mouvement possible, c’est plus compliqué.
Laetitia Rebord
Sexualité et handicap : c’est bien possible !
Depuis 5 ans, Laetitia vit avec quelqu’un. Dans cette relation, elle a pu apprendre beaucoup de choses, comme elle a pu en apprendre à son compagnon. Elle explique que ça n’a pas été bloquant de ne pas pouvoir bouger dans cette relation. Contrairement à ce qu’elle pensait, elle a pu voir que ce n’est pas parce qu’on ne bouge pas qu’on ne peut pas avoir de sexualité.
Les freins à la vie sexuelle avec un handicap
Quand on a un handicap, on a peut-être un peu trop tendance à rejeter systématiquement le fait qu’on ne rencontre personne sur la faute des autres. C’est plus confortable de dire que ce n’est pas de notre faute, mais celle de la société.
Laetitia Rebord
Laetitia ajoute qu’il y a des blocages venant de la personne en situation de handicap mais aussi un manque d’adaptation de la société. En effet, la société voit encore le handicap comme une fatalité, une tragédie. Ainsi, l’accessibilité dans les endroits pour faire des rencontres est inexistante, ce qui peut exclure les personnes en situation de handicap moteurs qui ont pourtant envie, comme tout le monde, de faire des rencontres.
Laetitia exprime également le fait que certaines personnes en situation de handicap s’autosabotent, se dévalorisent fortement et affirment d’emblée que tous leurs partenaires seront malheureux(ses). Ces personnes ont souvent ces pensées négatives, qu’elles ont intégrées depuis très longtemps. Mais ce n’est pas le cas. Il faut d’abord travailler sur soi et comprendre pourquoi on a cette faible estime de soi. Il faut se rendre compte que toute personne est aimable et a un corps qui peut être désiré, même si on peut entendre le contraire. Ces pensées positives et cette introspection sont nécessaires pour arriver à toute éventuelle rencontre et relation.
Il faut faire des rencontres. Personne ne va avoir une personne qui va arriver devant sa porte, avec une baguette magique.
Dans les relations, ce n’est pas toujours facile. Mais il faut essayer, il faut garder une vie sociale au maximum, il faut s’engager dans des activités. Rencontrer des personnes, des nouvelles personnes surtout, permet de multiplier les rencontres et donc de mieux se connaître.
Comment dépasser ce regard ?
Au fond de moi, j’ai toujours cru en moi. Je crois que, même si j’étais un peu triste et fatiguée d’avoir fait face à beaucoup de rejet, j’ai toujours laissé la porte ouverte à la rencontre.
Laetitia nous raconte que, quand elle a pris son indépendance et qu’elle a obtenu son appartement, elle avait un lit double, une manière de garder cette possibilité d’être avec autrui, d’être ouverte à la rencontre. Cela permet de se voir nous-même avec une rencontre, d’un soir ou plus !
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Le regard des parents est aussi important. Ils peuvent donner des pensées négatives, du type « Tu ne trouveras personne ». Ils ont ainsi un rôle à jouer dans la construction de la personne et de sa confiance en soi.
Comment gérer la peur du rejet ?
De nombreuses personnes peuvent avoir peur de se lancer dans cette vie affective et sexuelle à cause d’une peur du rejet. Celle-ci peut bloquer une nouvelle relation si la première (ou la précédente) s’est mal passée. Avoir peur du rejet et se bloquer dans des futures relations empêcheront d’aller plus loin. On va rester dans cette peur et refuser d’avancer.
Pourtant, il faut oser se lancer, il faut s’ouvrir aux autres et reprendre confiance en soi et avancer. Certes, le rejet fait mal, qu’il soit d’une mauvaise expérience ou par des personnes pas intéressées. En revanche, en ne faisant rien, on n’obtiendra rien.
Il vaut mieux se prendre quelques râteaux, on s’en remet bien mieux que si on ne fait rien et que, toute sa vie, on attend désespérément.
Aussi, la peur du rejet peut attirer notre attention uniquement sur notre handicap, et on pensera que nos rejets ne sont dus qu’à cela. Alors que d’autres facteurs sont à prendre en compte ! Après, c’est une chose que l’on ressent rapidement quand c’est uniquement dû au handicap, mais il ne faut pas non plus toujours tout remettre sur ça. La personne en face va ressentir cette victimisation, et cette dernière n’aide clairement pas dans les relations.
Aborder le sujet de la vie sexuelle et du handicap avec les enfants
Pour faciliter le sujet de la vie sexuelle et du handicap avec les enfants, les parents doivent d’abord être conscients qu’ils sont eux-mêmes vecteurs de blocages comme de leviers chez leurs enfants. Il faut les impliquer et les emmener à réfléchir sur l’importance qu’ils peuvent avoir sur les enfants dans le champ de la vie intime et sexuelle. L’attitude des parents aura une influence sur le développement des enfants.
Il faut écouter les peurs des parents, mais il faut aussi les informer, ouvrir les potentiels. Le but est de sensibiliser pour les aider à mieux communiquer et à agir avec leurs enfants dans leur éducation. Laetitia ajoute qu’il faut éviter la surprotection bloquante, même si c’est difficile quand celle-ci est engendrée par les situations de dépendance. Surprotéger n’est pas aider, il faut encourager l’autonomie, l’autodétermination.
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Pour ça, il faut inciter l’enfant à communiquer sur ce qu’il aime, ce qu’il n’aime pas. L’aider à mettre des mots sur ces ressentis pour que sa vie affective et sexuelle soit la plus épanouie possible. Si les parents n’y croient pas du tout, cela peut avoir un impact très négatif ! Comme le note Laetitia, il ne faut donc pas projeter ses propres peurs sur ses enfants en situation de handicap, et ce, quel que soit leur âge ! Il faut garder espoir.
Il faut prévenir l’enfant, l’éduquer comme tout autre enfant. Il faut lui apprendre tous ses aspects, comme la grossesse par exemple. La sexualité ne doit pas être abordée uniquement sur l’angle des risques et des craintes, cela pourrait bloquer l’enfant dans ses choix futurs. Au contraire, une éducation à la sexualité ouverte, complète, qui accompagne sera bien plus positive.
Quels sont les conseils pour celles et ceux qui veulent un accompagnement ?
Handicap et sexualité n’est pas un domaine où l’on trouve facilement des professionnels. On va retrouver des sexologues qui parleront de sexualité en général. Très peu sont liés au handicap, voire aucun.
Pour découvrir son corps, il y a, pour les personnes en situation de handicap, l’accompagnement sexuel ou l’assistance sexuelle qui peut être une, je dis bien UNE, solution temporaire. Car ce n’est pas un choix à vie de faire appel à un accompagnant sexuel. C’est un moyen d’aller vers autre chose, d’être plus assurée, de me sentir plus femme.
Il ne faut pas hésiter à en parler. Les groupes de paroles existent et peuvent faire du bien.
Quid des sites de rencontres spécialisés ?
Il existe de plus en plus de sites de rencontre spécialisés pour les personnes en situation de handicap. Selon Laetitia, ce genre de solutions est trop clivante. On met la personne dans la case « handicapé » pour presque l’isoler. Presque personne ne va sur ce genre de site à part des personnes en situation de handicap. Ce qui ne permet pas l’ouverture d’esprit dont Laetitia parle comme axe d’importance pour une vie sexuelle épanouie. Ce genre de site restreint les rencontres uniquement aux personnes en situation de handicap. Elle conseille plutôt de rester sur les plateformes classiques.
Rendons nous visibles, au sein de cette société qui ne veut pas nous voir.
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Comment aborder le consentement ?
Cela dépend du type de handicap, il faudra adapter le discours et l’approche. En effet, pour une personne qui n’a pas accès à la parole, il est vrai que le consentement est complexe. Mais il existe d’autres moyens de parler et donc de communiquer sur ce consentement : par écrit, par la langue des signes.
En ce qui concerne les personnes qui ne peuvent pas bouger, on va aussi retrouver la peur des abus, la peur de la fragilité de la personne. Cette vulnérabilité, elle est la même que toute femme face à un prédateur sexuel, comme le note Laetitia. Le risque zéro n’existe pas.
Il faut faire attention, bien évidemment. Mais sans aller jusqu’à interdire à la personne en situation de handicap de faire ses expériences sous prétexte qu’il y a plus de risque que pour les autres. Au contraire, il faut éduquer, pour que la personne soit consciente des dangers et qu’elle puisse aussi s’en prévenir en s’affirmant, sans la restreindre complètement.
En quoi la santé sexuelle est-elle importante ?
Il ne faut pas oublier que la santé sexuelle est un état de bien-être physique, émotionnel, mental et social. Mais surtout, il faut se rappeler qu’elle concerne toutes les personnes, quels que soient leur âge et leur forme d’expression sociale. Cette santé sexuelle porte bien son nom, elle est importante pour se sentir bien. Elle nécessite donc de pouvoir développer des relations, de pouvoir explorer son corps dans le respect de ses valeurs.
En général, les personnes pensant qu’une personne en situation de handicap n’aura pas accès à la vie sexuelle se justifient en disant qu’elle a « d’autres choses à penser ». Laetitia rétorque à cet argument que, bien souvent, les personnes qui disent ça sont souvent trop gênées à l’idée de penser que ça serait possible. Il s’agit souvent d’une projection, de se dire « Non, je ne veux pas voir de personnes handicapées avoir de vie affective et sexuelle ».
Comment sensibiliser le personnel ?
Il faut d’abord être ouvert et accepter que c’est un domaine où la personne en situation de handicap à le droit d’être informée, d’exprimer ses besoins, ce dont elle a envie. Il faut être conscient de cela et laisser la porte ouverte à leur parole pour trouver des solutions éventuelles. La grande idée à retenir, c’est qu’il faut sortir de sa zone de confort, nous précise Laetitia.
Quelques conseils
Laetitia aborde aussi l’importance d’essayer une séance photo. En effet, elles peuvent aider à voir son corps autrement, une façon de regagner une certaine confiance en soi. Les massages sont aussi une expérimentation que conseille Laetitia, ils peuvent aider à se découvrir.
C’est un gros travail d’aimer son corps, mais aussi d’accepter que, peut-être, finalement, on ne l’aimera jamais totalement. Mais l’accepter et avancer quand même, en se disant que ce n’est pas parce qu’on ne l’aime pas totalement que tout est impossible.
Laetitia appuie aussi à nouveau sur l’importance de participer à des activités qui plaisent. Puisque la société voit le handicap comme une fatalité et non juste un critère de personne, il faut être actif dans des activités pour permettre aux autres de nous voir au-delà de notre handicap, d’aller plus loin.
Plus on se rend invisible en se disant « Je ne veux pas être rejeté(e) », moins on va avancer.
Le mot de la fin
Essayez de ne pas vous décourager. Le découragement est assez facile, mais gardez la porte ouverte, ce n’est pas impossible. Regardez-moi, je ne bouge pas du tout et je vais bientôt me marier.
Si le sujet de la vie sexuelle et du handicap vous intéresse, vous pouvez également visionner l’intervention de notre invitée lors d’un Ted talk.
Visionnez le live dans son intégralité
Laetitia Rebord est traductrice de formation. Diplômée d’un Master 2 de Traduction Spécialisée Multilingue, Anglais et Italien, spécialité technique et juridique, elle exerce depuis 2007 dans une multinationale à domicile en télétravail, à temps partiel. Laetitia Rebord est atteinte d’une maladie génétique de naissance : l’amyotrophie spinale. Elle ne peut bouger qu’un pouce et qu’un orteil. Elle se bat pour le droit à une vie affective et sexuelle pour les personnes en situation de handicap.
En 2020, elle a obtenu son Diplôme Universitaire Personne Experte en Situation de Handicap dispensé par la Faculté de Médecine de l’Hôpital Bichat à Paris en partenariat avec la Chaire UNESCO Santé Sexuelle et Droits Humains. Elle est aussi aujourd’hui très active en tant que pair-aidante en santé sexuelle, formatrice, conférencière. Mais aussi comme coach vers l’empowerment des personnes en situation de handicap. >> Le site de Laetitia